Ecriture au jardin, quatrième proposition
15 juin 2019
Par carole lacheray - Ecriture au jardin, quatrième proposition - Lien permanent
Souvenir d'un moment bucolique
Où l’on secoue l’arbre de la mémoire pour récolter un souvenir…. Dans un jardin, un parc, une forêt, un sentier de campagne……
Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul, pas avant d'avoir dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible,, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète .au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en rende, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire...
Colette - Sido - 1930 (extrait)
Commentaires
L’après-midi serait longue. Sur le plateau de l’Audibergue, les nuages déroulaient leurs ombres et les falaises calcaires, si lumineuses les autres jours, s’obscurcissaient, se creusaient, dévoilaient des gouffres inattendus, grêlaient d’une variole sombre la roche tendre. Aux pieds du plateau, la cuvette marneuse recouverte d’un maquis austère s’étendait. La maisonnette, une ancienne cabane de berger abandonnée, avait été restaurée avec les moyens du bord. Elle servait de refuge, les week-ends, aux amateurs de nature et de randonnée. Les familles y amenaient leurs enfants, échappés le temps d’une journée aux allées de bitume, aux parcs trop paysagés pour être crédibles, aux jardins d’enfants dont les jeux obsolètes et rouillés n’offraient plus d’intérêt. Je faisais partie de ces enfants-là, déracinée chaque dimanche du jardin municipal et transplantée dans le sauvage plateau de l’Audibergue. Le vent y soufflait avec constance. Le maquis se répétait, cistes et chênes verts, à l’infini, tel un motif géométrique dupliqué, sur le papier peint de mes vacances. L’ennui s’annonçait, aussi sûrement que l’orage là-haut, sur la crête anticlinale. Le seul refuge contre l’orage, l’ennui et la solitude forcée, consistait à baisser les yeux. Descendre le regard au ras de l’herbe, drue et déjà sèche en ce mois de juin. Accoutumer sa vision à la proximité du tout petit. Découvrir le mouvement de la vie intrinsèque. Une patte d’insecte. Une mandibule de phasme. Une aile de sauterelle. Le grouillement des fourmis. Les navettes, incessantes et laborieuses, de tout ce petit monde, non pas souterrain, peu s’en eût fallu, à quelques centimètres près, de cet univers au ras du sol, hétérogène et mouvant, carapacé et chitiné, dont les préoccupations si éloignées des miennes me fascinaient et m’entraînaient très loin de l’ennui programmé du dimanche.
Isa LebastardLa nappe à carreaux est déroulée sur le bas côté de la route. Il faut bien s’arrêter, cela fait trois heures que nous roulons cul à cul dans ce monstrueux embouteillage du 1er août.
heyliettA hauteur de nez, nous respirons les gaz d’échappement. Puis soudain, la mallette du pique-nique ouverte, nous voilà projetés cinquante ans en arrière. Au temps où le pâté de lapin est fait maison et les cornichons courent dans le potager. Les tomates rougies au soleil exhalent leur parfum et le pain encore chaud croustille sous la dent. L’odeur de la tarte aux fraises parsemée de feuilles de menthe fraîche chatouille le nez. Une chaude torpeur nous enveloppe avant d’ouvrir le thermos de café.
C’est sûr Grand-Mère fait du bon café. Mais il faut reprendre la route et longtemps après la mémoire voyage dans la cuisine de notre enfance.
Heyliett