Troisième défi
24 mar. 2020
Par carole lacheray - Troisième défi - Lien permanent
Les petits plaisirs
Septième jour de confinement…
Voici le troisième défi d’écriture :
« Ainsi nous ne voyons jamais le véritable état de notre position avant qu'il n'ait été rendu évident par des fortunes contraires, et nous n'apprécions nos jouissances qu'après que nous les avons perdues. »
Daniel Defoe, Robinson Crusoé
Vous voilà vous aussi, comme Robinson, coupé(e) du monde. Je vous propose de faire l’inventaire des petits plaisirs quotidiens dont vous ne prenez peut être conscience que maintenant que vous en êtes privé(e).
Bien entendu, le narrateur de votre texte n’est pas forcément vous….et l’humour est fortement conseillé, mais ne le révélez qu’à la fin pour nous laisser le plaisir de deviner.
Commentaires
« - Attention Madame Carmen, vu votre âge, il faudra vous astreindre à rester vraiment chez vous. Je veux dire : pas de sortie en vélo, pas de contact avec Monsieur Raoul ou votre neveu. Aucun contact, si ce coronavirus vous atteignait, vous pourriez dire adieu à vos chats.
Carmen raccroche le téléphone sans dire un mot et maugrée :
- Quel con ce docteur ! Je lui ai rien demandé, pourquoi il m’a appelée ? Il a que ça à faire ?
Malgré tout, même si elle n’a pas l’intention de se soumettre trop rapidement aux injonctions du médecin , elle doit bien s’avouer que ça lui fiche la trouille ce coronatruc. Elle écoute la radio et elle a bien compris que les vieilles comme elle, il n’en ferait qu’une bouchée. Encore un coup des politiques, pense-t-elle, les vieux, ça coûte trop cher !
Elle rumine, Carmen. Elle se dit qu’après tout, elle déteste l’humanité, elle s’en fout de rester enfermée chez elle, ça lui fera des vacances.
Alors elle se cloître.
Sept jours ont passé, Carmen bougonne toute seule, pas grand-chose d’autre à faire que de ruminer. Ses petites balades en vélo lui manquent, elle se souvient que ça lui permettait d’injurier ceux qu’elle croisait et de pouvoir se sauver bien vite. Au moins elle voyait des gens, elle pouvait entretenir sa rancœur. Elle sent qu’elle a moins de haine dans le cœur et ça lui fait peur. Elle penserait même du bien de l’abbé, après tout, il lui a réparé son vélo plusieurs fois. Même les visites de son imbécile de neveu commencent à lui manquer, elle ne peut même plus le traiter de bon à rien.
Ça rend faible la solitude…
Alors elle se décide à réagir, elle prend un crayon et un papier et elle écrit : « Mouvillon, t’es qu’un vieux facho et pis t’es moche, signé : Carmen Cru. »
Et elle file en douce mettre le mot dans la boîte aux lettres de son voisin. Elle se sent mieux après ça.
Elle va pouvoir tenir encore un peu…
caroleCarole
Un samedi, une semaine plus tôt…
heyliettIl pleut des cordes, on n’est pas en Normandie pour rien. J’ai autant envie de sortir que de me jeter dans la Touques. Le frigo est vide, même pas une lichette de beurre à étaler sur mes tartines et plus de café ! Pour mon petit-déjeuner, je dois faire un tour à la supérette du coin et faire la queue à la caisse ; il est plus de 10 heures et pour certains, plus courageux, le ravitaillement de la semaine est déjà en cours. La pluie redouble, je suis tenté de prendre la voiture. Tout à coup, je me souviens qu’il n’y a presque plus d’essence dans le réservoir. Je dois faire le plein ; j’en aurai besoin pour rendre chez la fleuriste et charger les fleurs que j’ai commandées pour cet après-midi. Et mon discours de ce soir n’est même pas prêt ; je dois me dépêcher. Je file me raser en faisant des vocalises. On va sûrement me demander de pousser la chansonnette. Pour une fois que j’avais relâche un samedi, j’aurais préféré le passer devant un bon vieux Maigret près de la cheminée. Et cerise sur le gâteau, la célébrité locale que je suis va devoir serrer un tas de mains et embrasser un bon nombre de vieilles barbies peroxydées, avec le sourire béat du ravi de la crèche !
Tout à l’heure, c’est à mon bras que ma sœur chérie montera les marches de la mairie pour la troisième fois et, j’espère, la dernière. Et pour ça, je suis prêt à revêtir la ridicule jaquette à queue de pie qui m’attend sur le fauteuil de ma chambre…
Aujourd’hui, confiné pour de longues semaines, après la fermeture de l’opéra, je serais prêt à recevoir toute l’eau du ciel, faire la queue à la mauvaise caisse derrière des caddies bondés cerné de gamins hurlant et embrasser toutes les douairières de la ville !
Heyliett
Je suis une grosse chienne de 13 ans, unique, comme trois les bâtards de ma non-race.
monieDepuis quelques jours, plus rien ne va.
Pourtant, le soleil, le printemps avec la nature qui se réveille un peu plus chaque matin, sont bien là.
A cette période de l’année, il y a toujours beaucoup de promeneurs dans ma belle région ardéchoise, les restaurants sortent leur terrasse, les habitants ouvrent portes et fenêtres, les premiers touristes bronzent et pique-niquent au bord de la rivière.
Mais, en cette fin mars 2020, je suis seule. Que ce soit dans les hameaux isolés, sur les sentiers de randonnée dont je connais les moindres raccourcis, au bord de l’eau et même au cœur de mon village, il n’y a personne. Mes restaurants préférés n’ont pas sorti leurs terrasses. Pas de sac à dos plein d’alléchants casse-croûte, pas de portes qui s’ouvrent dans ces maisons habituellement si accueillantes pour moi.
Et comme je ne me nourris ni d’asperges sauvages ni de fleurs des champs, je commence à dépérir.
Mes maîtres, qu’exceptionnellement j’ai dû aller visiter car ils ont toujours quelques croquettes pour moi, m’ont trouvée presque jolie. Toujours eu du mal à les comprendre, ceux-là.
En attendant, moi, je rêve de frites, de sucre, d’os de poulet mal rongés, de gras de jambon et de bons petits restes de cuisine maison.
Mais ils finiront bien par ressortir, ils auront un peu de mal à me reconnaître, ils vont avoir pitié de moi, c’est sûr.
Et ce jour-là, parole de chien errant, je ne suis pas prête de rentrer à la maison !!!
Monie
Il est assis sur son canapé, l'ordinateur sur les genoux, la radio donne des conseils sur la façon de s'occuper, de se cultiver, de se protéger. Zut ! il en est gavé et il est fatigué de cette dramatisation quotidienne et de ces personnes qui témoignent pour dire des banalités qui semblent leur paraître primordiales.... Bon il doit le reconnaître certains moments peuvent surprendre agréablement, mais dans l'ensemble, c'est assez écœurant.
BrigitteDonc il est là découragé, machinalement il regarde par la fenêtre. Le soleil brille, le vent souffle et agite jonquilles et coucous. Le printemps est bien installé, mais le printemps ne sait pas. Ce n'est pas lui qui va l'informer. Le printemps est là, ignorant peut-être mais réconfortant.
Alors il se lève, éteint la radio et ouvre la fenêtre. La température est fraîche, la lumière invite à la gaîté. La vie est belle, la vie est forte, la vie gagnera toujours. Jamais ces banalités ne lui ont semblé aussi évidentes.
Il sourit.
Et voilà qu'il se met à chanter tout seul, à tue-tête, et comme si cela ne suffisait pas, il danse ! D'abord doucement, de longs mouvements amples et aériens, puis le rythme s'accélère, la danse s’intensifie, il est comme sonné, le souffle lui manque pour continuer à chanter, mais son corps continue à danser, virevolter, tourbillonner. Deviendrait-il un derviche tourneur ? Il ne pense plus, il ne voit plus il est devenu mouvements dansants..... Il danse, virevolte, tourbillonne, encore et encore.
Enfin, essoufflé, heureux, étonné, il s'effondre sur le canapé. Cela fait bien 20 ans qu'il n'a pas dansé et sans doute jamais avec une telle intensité.
Alors il remercie le confinement, il remercie le printemps (qui ne sait toujours rien). Ce confinement serait-il un cadeau ? Un cadeau pour tout revoir, on efface tout et on recommence ?
Devra-t-il plus tard remercier les dirigeants (ce serait quand même un comble!) qui naviguent à vue face à un virus sournois ?
Une évidence : malgré ses soixante balais passés, il ne renoncera pas, il est bien décidé à ne pas être contaminé, il veut vivre, lui contrairement au printemps, ils sait la pandémie , il sait les morts, il sait la douleur, la souffrance. Mais il sait aussi qu'il veut vivre, et vivre heureux dans un autre monde revu et corrigé.
Brigitte
. il arrive avec un peu de retard et m’en excuse, mais que voulez-vous ...relever le troisième défi d’écriture avec pour thème de faire l’inventaire des petits plaisirs quotidiens dont on ne prendrait conscience que maintenant que nous sommes les uns et les autres en confinement, m’a pris un certain temps …car comme tout inventaire cela prend du temps.
Mais du temps, à présent nous en avons toutes et tous à revendre …alors j’ai pris mon temps, un peu trop sans doute, mais ce sujet qui évoque Robinson Crusoé, m’a immédiatement entraîné dans les voyages que j’ai eu la chance d’entreprendre… tout comme dans ceux dont je rêve et que je ne réaliserai peut-être pas.
Le sujet de ce troisième défi sont les plaisirs du quotidien que finalement je n’aurai éventuellement pas su apprécier avant ce satané confinement …
J’avoue que ce défi est très difficile à relever pour moi car je fais partie de ceux qui s’émerveillent de tout, de la vie en général. Je peux m'extasier aussi bien devant un coucher de soleil en Birmanie qu’un coucher de soleil dans la Somme , au Crotoy, par exemple! (mais ceux de Trouville ne sont pas mal:) , j'étais toujours ravie ….d’organiser un pique-nique avec la famille ou des amis même si cela entraînait une matinée de préparatifs , … comme j’étais heureuse ...d'obtenir régulièrement des places de théâtre à prix réduit à condition de faire une immense queue , ce qui me permettait très souvent de converser et de créer un lien amical, ou bien ... d'acheter au marché quelques fleurs de saison qui m’emplissaient de joie alors que mes cabas étaient très lourds et que j’allais peiner pour rentrer chez moi... ou encore lorsque je trouvais une place assise dans un compartiment de métro bondé, ... également lorsque j’écoutais un musicien dans la rue en prenant un verre à une terrasse de café... Je pourrais faire de cet inventaire une liste sans fin … Cultiver du plaisir a toujours été essentiel pour moi et je suis certaine qu’il en est de même pour vous , mes chers lecteurs… Comme Philippe Delerm, je pense que les gens heureux sont ceux qui savent apprécier les « minuscules » choses de la vie …Allons trinquer tous ensemble , même à distance, avec "quelques gorgées de bière" et que ceux , un peu ronchons, qui se plaignaient de n’avoir jamais le temps de faire ou de ne pas faire, apprécient plus que jamais les petits plaisirs du quotidien même en période de confinement. Ne broyons pas du noir , mais du blanc ou du jaune , c’est déjà moins triste !
Linda
lindaConfiné.
olivierFaut-il être confiné pour prendre conscience de l'intensité de moments vécus "avant " ?
Peut-être n'ai-je pas vraiment apprécié de boire un café en terrasse, malgré la présence de fumeurs .....
Peut-être n'avais-je pas conscience
d'être soigné, au cas où, étant jeune et travailleur, alors que aujourd'hui, retraité, je ne représente pas d'intérêt pour la société. ....
Peut-être n'ai-je pas apprécié à sa juste (im) pertinence les commentaires germanopratains au hasard des librairies nocturnes lors de la parution de livres concernant des politiques du moment ...
Peut -être ai-je été impatient d'en finir lors d'une visite à une personne âgée et ronchon ,moi qui aujourd'hui suis triste de ne pas pouvoir le voir.....
..et combien encore de " peut-être " ?
Eh bien non, trop facile .
Ne disons pas , comme le poète :
" Et quand je dis en moi-même :
Oú sont ceux que ton coeur aime?
Je regarde le gazon. " Lamartine.