Quatrième défi
25 mar. 2020
Par carole lacheray - Confinés mais pas déprimés ! - Lien permanent
Par la fenêtre
Quatrième défi :Dixième jour de confinement : les petits plaisirs…
Les véhicules à moteur ont presque disparu. Le temps est suspendu. La ville ou le village semblent s’être endormis. Le tumulte des gens pressés s’est arrêté, laissant place à des sons que vous n’entendiez pas jusqu’alors. Ecoutez… partagez avec nous ces découvertes sonores. Pour vous encourager, Victor Hugo lui-même s’est prêté à ce jeu !
PS : Et si vraiment vous habitez dans un endroit déjà isolé de la cohue habituellement (veinards !), imaginez ce que peut entendre un citadin désormais.
Fenêtre ouverte, Victor Hugo
J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière.
Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre.
Cris des baigneurs. Plus près ! plus loin ! non, par ici !
Non, par là ! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi.
Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle
Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle.
Grincement d'une faux qui coupe le gazon.
Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison.
Bruits du port. Sifflement des machines chauffées.
Musique militaire arrivant par bouffées.
Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci.
Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici
Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge.
Vacarme de marteaux lointains dans une forge.
L'eau clapote. On entend haleter un steamer.
Une mouche entre. Souffle immense de la mer.
Commentaires
Brigitte Rousseau Je sors, oui c'est encore possible, une heure maxi, un km maxi..... J'ai regardé je peux aller jusqu'au Naturospace.... Je suis heureuse de savoir que j'ai droit à une heure, je dois donc même pouvoir aller au delà de 1 km.... Mais bon, mes finances ne me permettent pas d'être contrevenante...
BrigitteIl fait beau, la rue est presque déserte.... Cette impression de temps suspendu, de souffle tendu, d'absence... Absence de personne, absence de mouvement, absence de bruit... Absence de vie ?
Où irai-je ? Mes sortie ne sont jamais clairement programmées, elles obéissent plutôt aux minutes passées hors de chez moi et aux invitations d'une lumière, d'une odeur, d'un son..
Avant de partir vraiment, je m'arrête, je m'imprègne de l'ambiance, ambiance improbable,
une tranquillité de nuit d'hiver avec une lumière de printemps épanoui.
Je commence à marcher, et je me sens accompagnée. Bizarre, bizarre, je suis seule.. Je réalise brusquement que le bruit de mes pas m'accompagne, pourtant mes chaussures ne sont pas bruyantes,mais elles murmurent un léger vlou à chaque pas.
Vlou, vlou, vlou, vlou.... et voilà qu'un merle leur répond. Sauf le matin à l'aurore, du temps où j'habitais la campagne, jamais je n'avais remarqué à quel point ce chant est puissant....
Et je sursaute ! Le doux vlou vlou, l'énergique mélodie sont remplacés par le vrombissement d'une moto.... dix jours de confinement et je me suis déshabituée à ces agressions motorisées.
Vlou vlou, vlou, vlou je n'arrive pas à gommer ce vlou vlou, il devient entêtant, obsédant.
J'arrive au bout du bassin, un cognement énergique raisonne, et s'amplifie comme dans une maison vide. Cela vient d'un chalutier... Les pêcheurs ne semblent pas sortir ces jours ci, d'ailleurs la poissonnerie est fermée... pas de pêche, pas de poisson frais à vendre, logique. Mais les pêcheurs doivent avoir le droit de bricoler sur leur bateau. Bricoler ? Réparer ? En tout cas cogner, une fois, deux fois, trois, fois, encore, encore et .... arrêt sur son.
Vlou, vlou, vlou, vlou.... pour le faire taire ce vlou vlou murmurant je m'arrête et ô miracle, un léger clapotis... jamais je n'avais remarqué qu'ici l'eau gazouillait délicatement... C'est reposant et rassurant.. plus que la radio.
Plusieurs vlou, vlou, vlou plus loin je me retrouve près du jardin public (fermé) où l'énergique titu,titu d'une mésange charbonnière m'accueille, rien d'étonnant, elles sont nombreuses ces mésanges et chacune défend vaillamment son territoire. Je perçois une réponse, plus douce, plus mélodieuse : une mésange bleue je crois (à moins que ce ne soit pas du tout une mésange) Le phrasé est plus subtile, deux instruments d'un duo printanier.
Voilà de quoi être contente, et je le suis !
Vlou, vlou, vlou, j'arrive à l'allée des peupliers, le parking est vide, le bois craque, un jeune enfant s'amuse sur un tricycle. Il est loin, pourtant les grincements de son engin, sans doute plus âgé que lui, me parviennent très nettement.
Et je commence à rentrer en foulant le sable du trottoir, les vlou, vlou se changent en cri,cri plus aigus....
Bientôt le bruit de mes pas se fait oublier.... Le chant des jets d'eau envahit tout l'espace... Souvenirs, souvenirs : une chambre dans un village savoyard la fenêtre donnait sur un torrent chahuteur qui charmait mon oreille et a bercé mon sommeil......
Le temps passe vite, je presse le pas, cricricricri font mes chaussures, elles me narguent « Tu nous entends maintenant depuis le temps que nous te racontons des choses et des trucs et que tu nous snobes ! », cricricri mais elles deviennent inaudibles : les moineaux sont nombreux dans les arbustes, pourquoi précisément dans ces arbustes là ? Je ne sais mais ils sont là et quand je passe je n'oublie jamais de les saluer.... leur piaillement s'impose et masque même le passage discret d'une voiture.
Je passe, mon chemin, une camionnette traverse le pont, dans un bruit de train....
Oup ! L'horloge de la mairie sonne 3 fois, j'ai traîné (quel bonheur!) mais il faut que j'accélère, plus que quelques minutes. Mon heure d'escapade est presque finie. Vlou, vlou, vlou.... à demain chantent mes escarpins !
Depuis que le printemps est arrivé (je le sais parce que je regarde la télé), le soleil a enfin pointé le bout de son nez. Alors j’ai inventé un jeu. Le jeu du « Qui fait quoi ? ». Faut bien s’occuper , confinée mais pas déprimée, c’est ma devise ! Imaginez : je suis installée dans un confortable fauteuil, tournant le dos à la fenêtre ouverte de mon salon. Elle donne sur une petite cour, entourée d’autres appartements. Un peu comme dans le film d’Hitchcock, « fenêtre sur cour », et moi je suis James Stewart. Enfin pas tout à fait, mais bon, c’est un jeu après tout. Comme moi, les voisins aèrent leur appartement, ils y sont enfermés depuis si longtemps qu’il leur faut bien renouveler l’air qu’ils respirent. C’est le matin, vers 10h, que je peux profiter du plus grand nombre de fenêtres ouvertes. Alors, je m’installe dans le fauteuil, je ferme les yeux, et j’écoute, dix minutes, pas plus. Je dispose d’un carnet et d’un crayon et je note tout ce que j’entends. Le jeu, c’est de deviner ce que font les occupants de chaque appartement à partir des sons que je perçois. D’habitude, on n’entend pas grand-chose d’autre que le bruit de la circulation ou des klaxons sur le périphérique trop proche de l’immeuble. Mais depuis le début du confinement, on se croirait à la campagne. J’entends même des oiseaux chanter. Oui, des oiseaux, je vous assure !
caroleAlors j’écris. Par exemple :
-Voix de femme, à droite, elle traite quelqu’un de cochon. Elle dit qu’elle en a marre de tous les trucs qui traînent. J’en déduis qu’elle est en train de faire le ménage.
-Musique rythmée, volume assez bas. La jeune femme du troisième à gauche doit faire sa gym.
- Enfants qui rient aux éclats. Ils doivent être deux. Les rires ne proviennent pas du même endroit. Je pense qu’ils habitent face à face, l’un à droite et l’autre à gauche. Ils doivent faire un concours de grimaces.
-Bruits de casseroles. Appartement juste en face du mien. Madame Lassane, commence à préparer le repas pour sa nombreuse famille qui doit dormir encore puisque c’est le seul bruit que je perçois.
Et ainsi de suite… Après dix minutes, je me lève, je regarde et je compte mes points. Si ce que je vois correspond à ce que j’ai écrit, je marque un point. Quand j’aurai 100 points, je fêterai ça en me servant un petit verre de kirsch. Je m’améliore de jour en jour, mon ouïe s’affine et j’en suis fière : à mon âge, j’en connais qui sont sourds ! Quatre-vingt- cinq printemps, même si je ne peux plus descendre les escaliers, je garde bonne oreille et bon œil !
Il commence à faire frais. Je vais fermer la fenêtre.
Carole
Lise DEHARME, poète et écrivaine surréaliste, a écrit
« ECRIS TOUT CE QUI TE PASSE PAR LA FENETRE » - cahier de curieuse personne en 1933
J'avais pensé pour ce défi n°3 à quelque chose, mais quoi ?
A place, je vous envoie ce petit poème de Lise qui vaut, quelle coïncidence, pour le n°4 !
LA CAGE VIDE
J,ai raté
le livre de ma vie
une nuit
qu'on avait oublié
de mettre un crayon taillé
a côté de mon lit.
A l'époque le crayon à bille n'existait pas et c'est heureux car ce petit poème n'existerait pas non plus
bernardet la cage serait vraiment vide !
Bernard
8h47. Une tourterelle roucoule au-dessus de la fenêtre de la chambre.
mitsouDehors, visiblement, il fait soleil.
Je paresse au lit, comme tous les dimanches : mon petit luxe à moi, retraitée à l’équilibre dans
ma vie de retraitée.
Une tourterelle roucoule, et me réveille en douceur.
C’est le Printemps, je savoure la douce lumière à travers les rideaux.
Ce qui est bien, le dimanche, c’est ce calme au dehors : pas de voiture qui démarre, pas
d’adulte qui rouspète au moment de partir à l’école – en retard, comme d’habitude ! -, pas de
voix aigüe d’enfant, pas de mob qui pétarade, pas de bruit de poubelle secouée…
Juste une tourterelle qui roucoule au soleil, au-dessus de la fenêtre.
Au fait : on est bien dimanche, aujourd’hui ?
Là, tout à coup, je ne sais plus…
Ce calme, dehors, mais oui : on est dimanche !
Pourtant, il y a comme un doute qui s’insinue. Sans bruit.
C’est bizarre, il me semblait…il me semblait que hier, c’était mercredi…
Oui ! Mercredi 25 mars ! Je le sais bien, c’était l’anniversaire de mon petit-fils, j’avais bien
noté la date, d’ailleurs je l’ai appelé au téléphone pour l’occasion.
Mais alors, si on était « mercredi » hier, aujourd’hui c’est…« jeudi » ?
Bizarre. J’aurais pourtant juré être dimanche matin !
Une tourterelle roucoule.
Les tourterelles roucoulent tous les matins ces jours-ci, c’est le Printemps, elles appellent,
elles se retrouvent, elles préparent leur nid.
Les tourterelles roucoulent pareil tous les matins, ces jours-ci.
Il est vrai que mon luxe de retraitée (l’un de mes luxes, devrais-je dire) c’est de pouvoir être
« dimanche » n’importe quel jour de la semaine, selon l’humeur et l’inspiration du moment !
Faire « dimanche » un jeudi, et lundi – ou mardi – le vendredi.
En ce moment, c’est tous les jours « dimanche ».
Pas de pollution sonore.
C’est bien pour cette raison que les tourterelles peuvent roucouler à tue-tête !
Parce qu’enfin, la pollution sonore, la pollution atmosphérique aussi d’ailleurs, elles en
pâtissent, les tourterelles !
Et elles n’avaient rien demandé, en plus !
Elles existaient (elles, et tous les oiseaux, et tous les insectes) bien avant nous sur cette
planète, et elles existeront encore bien après nous, les humains - avec un « h » de plus en plus
petit -, et de quel droit doivent-elles subir toutes nos « géniales » inventions, toutes nos
spectaculaires interventions qui les encombrent et les dérangent et les polluent chaque jour ?
Aujourd’hui, peut-être roucoulent-elles un peu plus fort : c’est qu’elles peuvent roucouler
tranquilles, enfin !
Au creux de mon lit, je savoure, je me fais toute petite, je les laisse roucouler tout leur soûl,
en souhaitant qu’elles puissent en profiter encore longtemps.
En tout cas elles peuvent compter que j’essaierai encore plus qu’avant de faire ma part.
En ce moment, c’est tous les jours « dimanche », je crois que je vais dormir encore un peu…
Mitsou
Pas très inspirant pour moi ce défi. Alors j’ouvre ma fenêtre qui donne sur les arrières-cours de la rue des bains à Trouville et sur les maisons qui grimpent à l’assaut de la colline jusqu’à l’horizon.
lucetteLe silence est assourdissant. Je tends l’oreille ( que j’ai encore fine !!) et je perçois un murmure lointain et continu...mais non, je ne rêve pas...j’entends la mer... Moi qui me plaignait de ne pas avoir « vue sur mer », j’ai « son sur mer ». Le brouhaha de la ville m’avait empêchée jusqu’à ce jour de me rendre compte de ce privilège exceptionnel, celui d’entendre la mer.
Et puis bien sûr, il y a les moineaux qui piaillent de tout leur saoul. Ils doivent tirer des plans sur la comète pour trouver le meilleur emplacement pour leur nid, et se chamailler pour des riens.
Les couples de goélands, impériaux comme toujours, montent la garde sur les cheminées pour signifier aux importuns qu’ils étaient là les premiers et que ce territoire leur appartient. Couples fidèles à vie, paraît-il, ils étaient déjà là l’an dernier. Ils sommeillent au soleil ou lancent, on ne sait pourquoi, des cris stridents. Ils se bécotent aussi et se font des mamours. Je pense que les nids ne vont pas tarder.
De chez moi, on ne voit pas la mer, on entend la mer mais que sent-on? Rien, absolument rien. Jusqu’à il y a quelques semaines, en ouvrant les fenêtres, les odeurs de cuisine des restaurants de la rue des bains, montaient jusqu’à nous, surtout les odeurs de poissons. Mais là, plus rien, les fourneaux sont éteints, les enseignes sont fermées....et les clients sont confinés.
Alors bon confinement à tous avec de jolies couleurs, de bonnes odeurs et plein de douceurs.
Lucette
Mon imaginaire vagabonde
Il court il court il détecte
La maison loin du monde
Je me surprends à écouter tout bruit suspect.
La fenêtre grande ouverte sur le lointain
Mes yeux scrutent l’horizon
Un bateau qui dérive nonchalant
M’invite à me poser des questions.
Quand pourrai-je bientôt m’évader
Me dénuder de ce spectre invisible
Plonger dans cette eau si limpide
Ou je voudrais seulement me purifier.
Pendant ce temps dans le silence
carmenPlombe qui a pris possession de ma maison
L’incessant et lancinant tic tac
Du carillon a fini par me donner le trac.
Carmen
"...alors vous ouvrez la fenêtre et vous écoutez. "
La fenêtre. .....et de suite, c' est
Jacques Brel qui les a si bien chantées , les fenêtres. ..
Edward Hopper et l'attente au soleil couchant ....
Caillebotte et son portait de dos acoudé sur le rebord .....
Rembrandt qui en reçoit la lumière
......et tant d'autres encore ....
Je l' ouvre......et de suite, c'est
- les cris des hirondelles, ou plutôt des martinets en ronde ,autour de la maison dans le village de l'enfance.
- le chant de l' alouette,.... même à Paris, elle a sa rue !
- les encouragements de notre voisin qui attelle son cheval car c' est son tour de collecter les ordures du village dès sept heures du matin.....
-Si tout cela est rêvé, les gens qui se "déconfinent" à leurs fenêtres pour applaudir de concert leurs soignants sont bien réels et je les entends , pour de vrai cette fois !
Pas de bruit !
olivierPas de voiture !
Voilà ! C'était comme ça "avant , avant " comme maintenant,
avec le confinement. ...le rêve, presque, réalisé. ...
"...alors vous ouvrez la fenêtre et vous écoutez. "
La fenêtre. .....et de suite, c' est
Jacques Brel qui les a si bien chantées , les fenêtres. ..
Edward Hopper et l'attente au soleil couchant ....
Caillebotte et son portait de dos acoudé sur le rebord .....
Rembrandt qui en reçoit la lumière
......et tant d'autres encore ....
Je l' ouvre......et de suite, c'est
- les cris des hirondelles, ou plutôt des martinets en ronde ,autour de la maison dans le village de l'enfance.
- le chant de l' alouette,.... même à Paris, elle a sa rue !
- les encouragements de notre voisin qui attelle son cheval car c' est son tour de collecter les ordures du village dès sept heures du matin.....
-Si tout cela est rêvé, les gens qui se "déconfinent" à leurs fenêtres pour applaudir de concert leurs soignants sont bien réels et je les entends , pour de vrai cette fois !
Pas de bruit !
olivierPas de voiture !
Voilà ! C'était comme ça "avant , avant " comme maintenant,
avec le confinement. ...le rêve, presque, réalisé. ...
Succéder à un si charmant poème de Victor Hugo ....m’empêche de trouver mes mots ... Je n’ai pas la vue sur mer de mon appartement, les accès qui donnent sur les planches et la plage étant fermés ....je suis allée un peu plus loin vers la digue ....pour écouter un bruit dont je ne me lasse pas...celui de la mer ...exceptionnellement sans aucun bruit de voiture , ni moto ....et j’ai pensé à vous tous très fort qui maintenez le lien entre nous tous
lindaLinda
La porte verte
Chaque matin, depuis maintenant huit ans, j’ouvre la porte verte et sors prendre mon petit déjeuner dans un des cafés du quartier. C’est une habitude à laquelle je ne déroge jamais. Été, hiver, qu’il vente ou qu’il pleuve. De toute façon, au Portugal, le ciel est abonné au bleu, surtout dans la région de Lisbonne, et plus encore au sud, dans l’Algarve ou l’Alentejo. Mais moi, je vis à Lisbonne et le climat me convient parfaitement, ainsi que mes petites habitudes. J’ai toujours été matinal, même du temps où je travaillais à la papeterie, avant de prendre ma retraite. J’aimais me rendre à la fabrique à pied, à moins d’un kilomètre, pour attraper les premières lueurs du jour, profiter des trottoirs déserts, comme si j’avais la ville pour moi seul. Et depuis huit ans, réveillé à 6 heures, rasé, débarbouillé, habillé, je sors à 7 heures tapantes de mon appart de Campo de Ourique. 75 mètres carrés de vieux parquet grinçant, c’est grand, pour un homme seul. Un long couloir sombre, un balcon trop étroit pour y installer une chaise, et qui donne sur un fond de cour. Rien qui donne vraiment envie d’y rester. Alors que dehors, une fois franchie la porte verte, la lumière est extraordinaire, en toutes saisons. Une qualité de lumière unique, un scintillement hors du temps, une réflexion de celle-ci sur les pavés blancs, un éblouissement absolu. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle Lisbonne La ville blanche. D’autres que moi s’y sont usés la rétine, en terrasse des cafés sur les places pavées de noir et de blanc. La lumière de la ville, contrastant avec la cage d’escalier sombre, m’assaille, me blesse, et pourtant, me rend chaque jour plus vivant.
Dès 7 heures, du lundi au dimanche, je marche dans mes rues habituelles. Je salue silencieusement chaque façade colorée, chaque boutique de quartier, chaque porte d’immeuble, qui font partie de mon univers, de mon histoire et de ma vie. Portugais depuis toujours, des générations d’ancêtres avant moi ont aimé et célébré cette ville, chacun à sa manière. La mienne, c’est de marcher sans fin dans le dédale des rues, pour finir par m’asseoir dans un café. Je choisis en général une terrasse ombragée, déplie le Correia da Manha et commande mon premier expresso. Un bica, serré, amer et voluptueux, mélange improbable mais réel, pour bien démarrer la journée.J’ai mes cafés préférés bien sûr, comme nous tous, trois ou quatre lieux fétiches. J’avale une première gorgée, oublie le journal et m’abandonne au spectacle de la rue lisboète. Ses passants, ses arbres, ses pigeons, bercent mon imaginaire et mes souvenirs. Dans une autre vie, j’aurais été poète et aurais rempli de textes les pages quadrillées de ces carnets de moleskine que notre papeterie fabriquait, à l’époque. La conclusion de mon bonheur tombe, tendre couperet, chaque jour identique : l’expresso portugais est, à n’en pas douter, le meilleur au monde.
Ce matin, comme tous les matins de ma belle vie de retraité, je ferme la porte massive de l’appartement, descends quatre volées de marches grinçantes comme un petit jeune pressé de se rendre à un rendez-vous amoureux, franchis le hall carrelé, bordé d’azulejos jaunes et bleus, attrape la poignée de cuivre et pousse la porte verte. Impossible de l’ouvrir. Je pousse un peu plus fort. Elle résiste. Quelque chose dans le mécanisme s’est grippé ? Elle est si vieille cette porte verte, immuable et archaïque comme cet immeuble, et bien plus vieille que moi, qui traîne pourtant sept décennies accrochées à la carcasse. Je devine la lumière de la rue Correia Teles à travers sa vitre translucide. Est-ce vraiment la première fois que la porte d’entrée se coince ? Un doute s’insinue en moi, l’impression d’un déjà-vu, d’un déjà vécu. Je soupire, ferme les yeux pour chasser cette sensation fugace.
Marie-Jeanne pose sa main sur ma main tavelée. J’ouvre les yeux. Avec son accent normand, l’aide-soignante me rappelle à l’ordre. « Monsieur Paolo, il ne faut pas sortir, les promenades ne sont plus possibles pendant le confinement ». Je la regarde sans comprendre. « Les visites à l’Ehpad sont interdites, souvenez-vous ». Elle détache chaque mot d’un ton bienveillant, et ma main de la porte blanche de l’établissement. « Votre fille Ana va vous parler par skype, de Rouen ». Elle me conduit tout doucement vers la salle commune, sans cesser de me parler. « Vous savez bien, Ana, votre fille, elle travaille à cent kilomètres d’ici. Elle vous appellera à dix heures, je vous allumerai votre tablette. Mais venez d’abord prendre votre petit-déjeuner avec les autres résidents, monsieur Paolo ».
isabelle lebIsabelle Leb
La croisière
Les mouettes avancent au même rythme que nous. Un petit groupe, une dizaine de goélands, s’est stabilisé à notre hauteur et bat des ailes en rythme. L’oiseau en tête du groupe me regarde, de son œil jaune perçant. À quelques mètres seulement, je vois son globe oculaire me fixer, par brèves saccades, toujours ramenées vers moi, comme vers un point de mire flottant. Je ferme les yeux pour avoir la paix. Le léger roulis du bateau ne me berce pas, il m’écœure. Quinze jours de croisière déjà, et pourtant, j’ai toujours le mal de mer. Le voyagiste m’avait garanti que cela ne durerait pas plus qu’un jour ou deux. On s’habitue après, vous ne vous en rendrez même plus compte, m’avait assuré l’infect commercial. Tu parles. Quand je pense que je lui ai filé deux ans d’économies, pour cette croisière de rêve. Un cauchemar, oui. Fixez la ligne d’horizon, me répète tous les jours le maître d’hôtel, ça vous stabilisera. Ah, on pourra dire que je les aurais vus, l’horizon bleu, la ligne infinie, la belle courbe océane, à m’en vider les tripes, à m’en dégoûter jusqu’à la fin de mes jours. Je ne rêve plus que de campagne, c’est vous dire, moi qui suis née en ville. Tous les matins, sur le magnifique pont de bois ciré, je me cramponne à mon transat pour me donner une illusion de stabilité. Mes doigts crochètent le bois de teck, imputrescible, arraché à quelque forêt lointaine. Mon dos s’enfonce dans le tissus de lin jaune, finement rayé de beige. Ma tête s’écrase dans le coussin molletonné et mes jambes se cachent sous un plaid assorti au transat. Le bon goût est dans les détails. Corsetée dans ce cercueil de luxe, je me concentre sur ma nausée. Le jus d’orange frais pressé, un des musts du petit déjeuner en première classe, me rend malade. Acidité et roulis font mauvais ménage dans l’estomac. Des cris aigus me font sursauter. J’ouvre les yeux, par réflexe. Les goélands se sont encore rapprochés, ils volent maintenant sur la coursive du pont supérieur, comme pour me narguer, prêts à piquer au vol des miettes de brioche chaude. Le dominant me file encore un regard mauvais. Je les écarte des bras, du large, sales bêtes, je suis venue ici pour avoir la paix, pas pour me faire emmerder par des pigeons marins. Je redresse d’un geste machinal les branches de mes lunettes de soleil, soulève mes cheveux par l’arrière, abaisse mon chapeau à large rebords, cale confortablement chaque muscle de mon corps et m’enfonce dans la chaise longue du transatlantique. J’essaye de respirer au rythme du roulis et de m’y accorder. J’entends le clapotement des vagues, le bruissement de la mousse d’écume provoquée par l’étrave du navire, les cliquètements, couinements et grincements de la carcasse métallique géante. Tout un monde de métal vit, rouille, et souffre ici. L’air tourbillonne, capricieux, et vient par moments glisser sous mon nez, pour y déposer ses effluves iodées. Algues, sels, diatomées, particules microscopiques s’accrochent à mes narines, me rappelant, à chaque instant, où je suis : au milieu de rien, quelque part entre Cherbourg et New-York. Je soupire. Impossible de dormir, malgré la fatigue. Je saisis le polar qui traîne sur le plateau du petit déjeuner, entre la théière calfeutrée à l’anglaise et les tranches de brioche refroidies. Je lis quelques pages, sans conviction, et confonds les personnages, trop nombreux. J’aurais dû acheter des romans de gare, des intrigues à deux sous et trois héros. Quelque chose qui se lise tout seul, sans le moindre effort, sans concentration et sans mémoire. Quelque chose qui glisse sur l’esprit comme l’eau sur l’étrave avant de partir, rejeté au loin dans l’océan de l’oubli. Le roulis s’est estompé, la brise a cessé. Les cris des mouettes se font plus tendres, inoffensifs piaillements, presque mélodieux. J’ouvre lentement les yeux. L’horizon bleuté se teinte d’émeraude, les vagues scintillent au loin, laiteuses. Le bleu outremer devient franchement vert fluo. Les vagues se dissocient en vaguelettes, minuscules, allongées, fines et pointues. Le vent reprend et courbe leur sommet, les ondes dessinent des collines vertes, moutonnées de points colorées. Une tache sombre apparaît, se rapproche. Mon mari marche sur la pelouse, arrive sur la terrasse. Et bien, installée comme ça, on dirait presque que tu es en croisière, lâche-t-il en passant devant mon transat. Quinze jours de confinement déjà, et l’esprit s’évade où il peut.
Isabelle Lebastard
isabelle leb