Sixième défi
2 avr. 2020
Par carole lacheray - Sixième défi - Lien permanent
17 ème jour de confinement
Incroyable !
17 ème jour de confinement
On appelle « incipit » les premières lignes d’un récit. Le mot vient de la formule latine « incipit liber », « ici commence le livre ». En voici quelques exemples célèbres :
L’incipit de Lolita de Nabokov : « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. »
L’incipit de Du côté de chez Swann de Proust : » Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »
L’incipit des Aventures de Télémaque de Fénelon : « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse. »
L’incipit de L’Etranger de Camus : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Je vous propose de commencer votre incipit par : « Il (ou elle) n’aurait jamais pensé faire cela un jour…. » et de poursuivre l’écriture de votre texte.
Et oui, ce confinement amène chacun de nous à rompre avec ses habitudes et à tenter de nouvelles expériences. Votre personnage se surprend lui -même de ce qu’il a entrepris, c’est pour le moins inattendu de sa part ! Evidemment toute ressemblance avec des personnes existantes serait purement fortuite…
Commentaires
Elle n'aurait jamais pensé faire cela. Mais ce jour, un stylo dans la main au dessus d'une page blanche prête à accueillir une banale liste de courses, la transforma. Sa plume se déchaînait, des mots venus de nulle part courraient sur le papier sans qu'elle ne puisse rien faire pour les arrêter. En même temps dans sa tête le brouillard se dissiper au fur et à mesure que les mots noircissaient cette page. Après de longues minutes, un texte cohérent se présentait. Elle le lut, le relut et s'émerveilla. Elle connaissait bien cette histoire qui apparaissait sous ses yeux ébahis. Submergée par l'émotion et la joie, elle réalisait qu'elle venait de vider sa colère contenue depuis si longtemps en l'extériorisant avec des mots. Elle était enfin apaisée et heureuse. Désormais plus rien pour elle ne serait comme avant. Des petits mots qui coulent pour vider la rivière intérieure tumultueuse qui rejoindra l'océan d'une grande paix retrouvée, peuvent transformer la vie.
ChantalChantal
Il n’aurait jamais pensé faire cela un jour ... Il n'aurait jamais cru non plus vivre cette expérience individuelle et collective. Alors à situation exceptionnelle...
BrigitteCe nouveau corona virus qui ne s'appelait pas encore covid 19 (pourquoi ce nom d'ailleurs?) était loin, en Chine. La Chine, pays aux habitudes alimentaires bien différentes des nôtres, occidentaux, vivant dans le confort. Comme tout le monde il était triste, Les morts nombreux, mais étrangers à son quotidien de jeune retraité dynamique et fort occupé, ne changeaient rien à sa vie sociale et plutôt joyeuse.
Et puis, la maladie s'est rapprochée. Mais tout allait encore bien, les touristes sud coréens continuaient de déambuler dans la ville, prenant des photos de tout et de rien.
Il continuait de téléphoner deux fois par jour à sa mère, très vieille dame alerte à l'esprit vif, mais qui peu à peu perdait de sa superbe, et commençait , il se percevait très bien, à devenir inquiète. Elle lui parlait à chaque fois de cette maladie qui tue.
Et voilà que brusquement les choses se sont emballées, rassemblement interdit, des conseils sans injonction trop autoritaire : tousser dans votre coude, saluer de loin, oublier les embrassades.... comme pour la grippe, mais aussi plus inquiétant rester chez vous, éviter de sortir sauf pour des raisons valables.
Et voilà qu'un samedi soir, cafés, restaurants, la plupart des magasins obligés de fermer.
Et très vite confinement (non cité) fut décrété..
Comme beaucoup, il était pris au dépourvu. Il comptait aller chez le coiffeur, il projetait une razzia à la librairie, il devait faire réparer ses chaussures, peu à peu il se rendait compte que sa vie allait être bouleversée, au moins momentanément....
La voix inquiète de sa mère lui fit dire une chose non réfléchie et que jamais il n'aurait pensé formuler, avec toutes les conséquences que cela impliquait.
- Maman, tout va bien, tu ne vas pas être seule, j'arrive.
Le soulagement de sa mère lui fit chaud au cœur, en même temps qu'il commençait à comprendre avec angoisse ce que cela signifiait.
Sa mère, il l'aime beaucoup, il va la voir très souvent, il lui fait ses courses, il l'appelle. Mais se confiner avec elle, voilà qui allait être dur.
Il respire profondément, pense rapidement à ce qu'il doit prendre, faire, vite, pas trop cependant.
Des habits, des livres, des affaires de toilettes, l'ordinateur. Il essaie de ne rien oublier et surtout il refuse de se précipiter. Il a la soirée et la matinée. Il profite d'internet au maximum, fait des téléchargements, sa mère a toujours refusé une connexion.
C'est ainsi qu'il fait ce qu'il n'aurait jamais pensé faire. Il arrive souriant chez sa mère pour s'y installer quelque temps.
Elle l’accueille avec chaleur et scepticisme. Elle doute.
- Tu es sûr ? Ça va être dur pour toi. Mais j'ai pris une connexion internet. Çà devrait fonctionner d'ici quelques jours. Il faut que ce soit le plus confortable possible pour toi. J'ai mis des draps propres dans ta chambre et Julie est venue faire le ménage à fond ce matin.
- Tu as fait tout cela ce matin maman ?
- Bon, disons que je me prépare depuis quelques jours, je me suis même acheter une tablette, je compte sur toi pour me montrer comment l'utiliser.
Il n'en revient pas. Sa mère le surprendra toujours.... Son esprit fin et perspicace et surtout son amour pour ses enfants forcent l'admiration. Mais parfois, cet amour est un peu étouffant, même si elle essaie toujours de ne pas être intrusive.
Il se dit qu'il a bien fait de s'inviter à vivre ce confinement avec elle. Il espère être à la hauteur.
La maison sent bon la cuisine réconfortante..
- J'ai fait un gratin dauphinois, avec un poulet, ça te convient, on ne va pas se laisser dépérir à cause d'un virus, non ?
Elle se souvient donc qu'il adore le gratin dauphinois.... Elle est toute joyeuse et il la sent disposée à lui faire plaisir, à s’occuper de lui comme un petit garçon aimé et gâté. C'est sans doute cela qui va être le plus compliqué à gérer : ne pas s'agacer de ce trop plein d'attentions.
Ils s’installent pour manger. Parfois, il partage le déjeuner avec sa mère, mais en oiseau de passage, là c'est autre chose, il va vivre ici quelques semaines, il devra remplacer la femme de ménage, remplacer les copines bavardes qui passent régulièrement, accompagner les petites sorties au pas lent (lui qui marche vite).
Sa mère le regarde et sourit. Elle a compris. Sur un ton autoritaire elle lui annonce qu'elle veut le laisser le plus possible indépendant. Elle ne veut pas qu'il se sente obligé d'être avec elle tout le temps, d'ailleurs elle ne le supporterait pas.
- Il nous faut être solidaires, et s'aider d'une présence légère. Donc vis ta vie de confiné. Moi je vais continuer à cuisiner, lire, faire des mots croisés, des sudoku et utiliser mon téléphone, toi tu as le tien. Et je crois que le jardin me suffira pour sortir et profiter du soleil.
- Tu es géniale maman, tu as raison, nous allons cohabiter en essayant de garder notre espace et nos petites habitudes.
Une bouffée de tendresse l'envahit. Ce confinement finalement ne se présente pas si mal. En plus d'ici peu il y aura internet. Il pourra même proposer à sa mère de voir des captations de spectacles, des sites de musées, peut-être même faire une petite séance de gymnastique d'entretien....
Peu à peu ce confinement lui apparaît comme un cadeau qu'ils se font mutuellement.
Il n'aurait jamais pensé retourner vivre chez sa mère, et pourtant il en est heureux.
Brigitte
Elle n’aurait jamais pensé faire celà un jour. Le confinement avait bouleversé ses habitudes, la forçant à inventer de nouveaux rituels quotidiens pour ne pas s’ennuyer. Les premiers jours, la lecture et la télé avaient suffi à occuper ses journées. Puis elle s’était mise à cuisiner : des soupes qu’elle avait congelées, puis des purées, des gratins, des plats mijotés…Son congélateur était plein, elle avait à manger désormais pour trois mois au moins. Alors, elle était passée à la confection de pâtisserie : tartes, clafoutis, fondants au chocolat, choux à la crème, qu’elle mangeait dans la journée. Comme elle détestait gâcher la nourriture et qu’elle ne pouvait plus rien congeler, elle se faisait un devoir de tout avaler jusqu’à la dernière miette. Elle se donnait bonne conscience en allant à pied, deux fois par semaine, faire ses courses à l’épicerie située au bout de sa rue. Ainsi, les jours passaient très lentement : elle lisait, elle mangeait, elle cuisinait, elle mangeait, elle regardait la télé, elle mangeait…
caroleA 40 ans, elle ne s’était jamais vraiment préoccupée de son apparence, ne s’était jamais maquillée, n’avait jamais été obsédée par son poids, considérant qu’elle n’avait nul besoin d’artifice pour exister sereinement. Mais un matin, alors qu’elle se tenait debout devant la fenêtre, elle sentit quelque chose frôler ses pieds. Elle baissa son regard et poussa un cri horrifié, la seule chose qu’elle voyait, c’était son ventre rebondi, tellement gonflé qu’elle n’apercevait même plus ses orteils. Elle se précipita vers un miroir et dut se résoudre à constater qu’elle avait horriblement grossi. La balance lui confirma qu’elle avait pris dix kilos depuis le début du confinement. Il fallait réagir ! Ce jour- là, elle ne cuisina pas, ne mangea pas. Elle prolongea sa diète le lendemain mais n’y tenant plus, s’accorda un maigre souper et se remit à manger, raisonnablement, pensait-elle. Cinq jours de ce régime ne lui firent perdre qu’un kilo. Il fallait prendre une décision plus radicale. Faire quelque chose qu’elle ne s’était jamais résolue à entreprendre. Avant, elle considérait que c’était un truc de désoeuvrée ou d’obsédée de l’apparence, inutile et futile. Mais il lui fallait une décision radicale si elle voulait retrouver un regard bienveillant sur son corps. Elle téléchargea une application sur son smartphone, et, consciencieusement, chaque matin, se mit à reproduire tous les mouvements de gymnastique que le coach virtuel lui ordonnait de faire. Ce qui la motiva surtout, c’est que personne ne pouvait la voir !
Carole
Elle n’aurait jamais imaginé faire cela un jour :
lindaSe lever un matin sans avoir mis le réveil à sonner, sans avoir prévu l’heure de son réveil.
Sans avoir rien programmé pour la journée à venir, aucune activité particulière, aucun rendez-
vous ni à l’extérieur, ni par téléphone, ni par internet.
Sans avoir prévu de courses à faire, ni alimentaires ni pharmaceutiques ni bricolo-droguistes.
Sans aucune obligation ménagère ou « de loisir », pour reprendre une expression consacrée.
Sans avoir prévenu qui que ce soit qu’elle n’y serait pour personne, sans avoir dit à qui que ce
soit qu’elle ne serait pas joignable.
En fait, cela voulait dire qu’elle n’émergerait de son sommeil que vers 10h, 11h, ou midi peut-
être.
Ou 3h de l’après-midi.
Ou 7h du soir, va savoir !
Qu’elle prendrait son petit-déj à l’heure de la soupe, ou un apéro à l’heure du goûter.
Et un bon bain mousseux et parfumé pendant la diffusion de son émission de jazz préférée.
Ou pas.
Et alors ? Peu lui importait ce qu’ « ils » en penseraient.
Une journée pour faire « RIEN » ! Le pied !
Vous savez quoi ?
17 ans que ça dure !
Oui, 17 ans :
2 années d’arrêt de travail en « longue maladie », suivies de 2 années de chômage pour « cause
économique », puis la retraite : une retraite financièrement bien modeste, mais au Paradis ;
dans 20m², mais avec la plage (presque) pour elle toute seule 10 mois de l’année !
12 ans, d’abord, à se ménager des tête-à-tête avec elle-même, à apprendre à se connaître, à
s’apprécier ; à se parler de ses projets, de ses rencontres ; à se raconter le dernier coup de
fil de sa petite-fille, de son fils aîné, de son amie J…, de son nouvel amour ; à partager ses
sorties, ses musiques préférées ; à se lire des livres, les nouvellement découverts et ceux à
emporter sur une île déserte ; à échanger bons mots et découvertes saugrenues…
Et puis encore 5 années, suffisamment bien dans de nouvelles baskets choisies à deux pour
pouvoir, quand on veut, parfois, souvent, au choix, poursuivre dans cette voie.
Confinement ?...... ???
« Ah ! Qu’il est doux de ne rien faire
Quand tout s’agite autour de soi ! »
Et en plus, c’est aujourd’hui faire œuvre utile, apporter sa contribution à la guerre au COVID.
11h47. Une tourterelle roucoule au-dessus de la fenêtre de la chambre.
Dehors, visiblement, il fait soleil.
Je paresse au lit, comme tous les dimanches : mon petit luxe à moi, retraitée à l’équilibre dans
ma vie de retraitée.
Au fait : on est bien dimanche, aujourd’hui ?
Mitsou
Elle n’aurait jamais pensé faire cela un jour… Quand elle cherchait un appartement, son premier critère était la vue, donc un appartement en étage élevé. Après plusieurs mois de recherche, elle a fini par craquer pour un duplex avec une vue imprenable sur la Touques et Deauville, au cinquième étage ! Evidemment à plus de 60 ans, elle ne l’aurait jamais acheté si la résidence n’avait pas été dotée d’un ascenseur.
heyliettPendant plus de dix ans, elle a dû prendre les escaliers pour monter qu’une fois ou deux quand le dit-ascenseur était en panne. Mais depuis la pandémie, elle fait l’impensable : monter les escaliers à pied même chargée comme un baudet, en revenant du marché ses sacs pleins ou du super marché avec des packs d’eau ou de lait. Pas question pour elle d’être contaminée, en touchant les poignées ou en appuyant sur les boutons de l’ascenseur, peut-être porteurs du virus.
De plus, les occasions de faire du sport étant désormais très limitées, c’est pour elle une façon de compenser les randonnées annulées, les séances d’aquagym supprimées.
C’est aussi une façon d’éviter un sur-confinement, si par malheur l’ascenseur venait à tomber en panne, combien de temps risquerait-elle de rester dans cet endroit exigu avant que quelqu’un vienne la délivrer ? Combien de salariés travaillent encore pour la société d’assistance ? En temps normal, il a fallu des heures voire des jours avant que l’entreprise intervienne. Des scenarios catastrophe lui viennent à l’esprit, des femmes chargées de l’entretien coincées dans l’ascenseur du vendredi soir au lundi matin, obligées de boire leur propre urine ou l’eau croupie de leur seau. La résidence comme toutes celles alentour sont occupées par des personnes âgées, très âgées donc souvent sourdes. Qui entendra ses appels à l’aide ? Elle n’ose pas imaginer vivre une telle situation. C’est pourquoi elle monte et elle descend ses escaliers avec entrain, parfois deux fois par jour.
Son plus jeune fils interrogé sur le sujet lui a répondu qu’il n’aurait jamais imaginé avoir sa mère au téléphone jusqu’à deux fois par jour. A 38 ans, elle peut le comprendre mais à sa décharge, celui-ci habite Coronaland, dans le grand Est ; cela la rassure de l’entendre le plus souvent possible.
Quant à sa fille, elle lui a rétorqué qu’elle ne voyait pas ce que le confinement changeait à sa vie quotidienne, en oubliant qu’en télétravail, elle ne faisait plus les 50 km aller et retour pour se rendre sur son lieu de travail. Mais pour le reste, elle a raison, c’est elle qui gère les trois ados, leurs devoirs et leurs bagarres, la cuisine, le ménage, les lessives … Son mari continue de travailler à l’extérieur sans compter ses heures.
Et pour finir, à plus de 70 ans, elle n’aurait jamais pensé vivre cloîtrer toute la journée dans son appartement. Heureusement qu’en plus de la vue, elle avait exigé en deuxième critère d’avoir un extérieur, un balcon ou une terrasse !
Heyliett
Jean n’aurait jamais pensé faire cela un jour.
Depuis 3 jours, il était immobilisé dans son lit avec un plâtre sur sa jambe droite. Et oui, un accident bête: en sautant de son tracteur, il s'était mal réceptionné. Le médecin était passé ce matin et le verdict était tombé: 3 mois d’immobilisation.
Jean était un jeune agriculteur plutôt hyperactif et il fut anéanti par la nouvelle.« Pas possible, ce n’est pas possible, « gémit-il. Avec sa femme Thérèse, ils exploitaient la petite ferme que ses parents lui avaient laissée. Comment allaient-ils faire?
Jean grogna, râla, comme à son habitude... Il ne tiendrait jamais. Thérèse laissa passer l’orage et lui dit :« on va s’en sortir, mon jeune frère va venir s’installer à la maison et il m’aidera. Plusieurs voisins aussi m’ont promis leur aide. On va s’en sortir. »
Jean, la rage au ventre sembla se résigner, mais Thérèse voyait bien que la déprime le guettait.
Un matin, alors que Jean déjeunait avec Lulu sa petite fille de 5ans, Thérèse, sans mots dire, déposa un panier d’œufs frais sur la table de la cuisine. Toujours sans rien dire elle alla chercher le livre de cuisine, la balance, la farine, le sucre et tous les ustensiles de pâtisserie. « Voilà ce que vous allez faire tous les deux: de la pâtisserie. »
Lulu était enchantée, Jean beaucoup moins: « je sais pas faire ça, moi.
— tu vas apprendre. »
Jean grogna un peu puis il se dit: « pourquoi pas, après tout, c’est mieux que de rester à ruminer dans mon fauteuil. »
Et ils se mirent au travail. Jean était les yeux de sa fille qui ne savait pas encore lire et Lulu était les jambes de son papa qui ne pouvait pas marcher.
Et dans la cuisine on entendit bientôt: « 200g de farine....Lulu passe-moi le sucre...non papa c’est moi qui casse les œufs....4, c’est écrit 4 dans la recette, tu sais compter jusqu’à 4... c’est moi qui touille... touille, touille...attends je vais t’aider. »
Une heure après, le gâteau était dans le four. La table de la cuisine était jonchée de farine, de sucre, et d’œufs. Des ustensiles sales trainaient partout, mais nos deux compères étaient rayonnants.
Au goûter, ce jour là, un beau gâteau trônait sur la table.
« je n’aurai jamais pensé faire cela un jour. Est-ce qu’il y aura encore des œufs demain, Thérèse? On continue, hein, Lulu. » dit Jean.
Et pendant les 3 mois de plâtre, nos apprentis pâtissiers se régalèrent. Jean et Thérèse prirent quelques cm de tour de taille. Quant à Lulu, elle était tellement heureuse d’avoir son papa pour elle toute seule.
Vous l’avez peut-être deviné, Jean et Thérèse étaient mes parents et Lulu c’était moi. Tant d’années après ce souvenir est encore vivace en moi, et le confinement ça me parle. Un confinement imposé, long, mais heureux.
lucetteLucette
Autonomie
Elle n’aurait jamais pensé faire cela un jour. Aller fouiller dans la buanderie. Chercher le Destop, des gants de ménage, et la fameuse ventouse rose. S’accroupir devant les chiottes. Retenir sa respiration et pomper. Entendre le bruit répugnant de succion, rythmique, suivi des gargouillis et remontées de matières innommables. Retenir sa respiration. S’en vouloir de n’avoir pas pensé à mettre un tablier et prier pour ne pas recevoir de projections. Tirer la chasse une fois. Inspirer. Recommencer à pomper, plus écœurée par le bruit abject que par ce qui remue sous la ventouse rose. Tirer la chasse une deuxième fois. Asperger d’Harpic parfum lavande. Retirer la chasse. Asperger de Canard WC senteurs marines. Laisser agir sans tirer la chasse. Retourner dans la buanderie. Retenir son souffle. Laver la ventouse, la passer à la javel, la rincer et la ranger au fond du placard, en bas à droite. Inspirer. Yes. Le plombier, qui a refusé de passer pour un simple WC bouché, peut aller se faire voir. Retourner au salon. Sur le canapé, son mari regarde sans elle un nouvel épisode de la série Brooklyn 99.
Elle n’aurait jamais pensé faire cela un jour. Aller fouiller dans le garage. Ouvrir les unes après les autres des caisses de matériel mal rangé. Rallonges, prises, tournevis, pinces, et même des boîtes de vis ouvertes dont le contenu, répandu au fond des caisses, accompagne d’un roulis métallique sa fouille frénétique. Elle s’énerve, grommelle, puis jure à haute voix. C’est pas possible, il doit bien y avoir une ampoule de rechange qui corresponde. Où est-ce qu’il les fout, ses ampoules ? Elle finit par dénicher la caisse convoitée, à côté du matériel de camping, cherchez la logique. Elle en prend 3 ou 4 qui semblent convenir, elle ne comprend rien aux voltages, aux ampères, aux LED, aux néons. Elle entre dans leur chambre, s’assoit sur le lit avec ses ampoules et les teste, une par une, sur sa lampe de chevet. La troisième est la bonne. Ouf ! Elle l’a échappé belle : les magasins de bricolage sont fermés. L’ampoule émet une lumière jaunâtre et faiblarde, mais c’est mieux que rien. Si elle ne peut même plus lire au lit le soir en ces temps de confinement, elle est morte. Dans le salon, l’œil vide, son mari reste figé devant le générique d’un énième épisode de Prison break.
Elle n’aurait jamais pensé faire cela un jour. Le lave-vaisselle crache une mousse suspecte. Des litres d’eau saumâtre se déversent sur le carrelage de la cuisine. Elle éponge ce qu’elle peut et place des serpillières sur le sol. Elle ouvre la gueule de l’engin et comprend tout de suite le problème : l’eau ne s’écoule plus, le filtre est bouché par des vieux restes de nourriture. Elle essaye de le démonter, n’y arrive pas. Soupirs. Bon, il va falloir se lancer. LD 503-C. Elle note la référence, allume son PC et se connecte. Elle galère un peu, la connexion est si mauvaise depuis 3 semaines. Normal, tout le monde est sur internet en ce moment, à essayer de travailler, de s’informer, de parler à sa famille, de jouer avec des amis, de regarder des séries non-stop, comme son mari, de chercher des recettes de cuisine, des cours de yoga, des tutos de méditation. Le site officiel du constructeur ne donne que les références des pièces de rechange. Neuves et hors de prix, évidemment. Elle est à deux doigts d’abandonner, de refermer rageusement l’écran de son ordi. Après tout, en dehors de Facebook, et Copains d’avant, elle n’a jamais su faire une recherche sur la toile. Elle se remotive, continue à surfer et atterrit sur un forum de bricolage au féminin. « Votre lave-vaisselle est bouché ? » Voilà, c’est la bonne question ! Dévisser ceci, ouvrir cela, manipuler ce truc, secouer ce bidule. Elle prend des notes. Ça n’a pas l’air bien sorcier. Elle y arrive. Elle est fière d’elle. Aller tiens ! Elle se décapsule une bière, à sa santé. Dans le fauteuil, son mari fait sa sieste. Le dernier épisode de New-York, unité spéciale s’est terminé sans spectateur.
Le confinement s’achève. Ils peuvent enfin sortir, ahuris, repeupler ces rues désertées, ces magasins oubliés, ces parcs revenus à l’état sauvage. Mais surtout, elle se sent libre, grande, forte et autonome. Elle n’a plus aucune raison de rester. Elle va enfin pouvoir se barrer, loin, très loin de son mari. Elle n’aurait jamais pensé faire cela un jour.
isabelle lebIsabelle Leb
Il n'aurait jamais pensé faire cela un jour, Paul ......laisser Francis partir sans l' accompagner.
Avec ses amis, ils avaient prévu que, à la mort de l' un d'eux, les autres feraient une fête , un peu comme au Mexique, version française ! Mais avec le confinement, il est interdit de se retrouver pour le dernier adieu. ..
Quand la mère de son ami Francis lui annonce la fatale nouvelle de la mort accidentelle de son fils, Paul a du informer le groupe d'amis et leur demander de ne pas venir . Ils ne suivraient pas le corbillard et ne feraient pas de fête et ça vraiment, ce n'était pas envisageable "avant" ce confinement ....Voilà bien quelque chose d'absolument impensable pour lui.
OlivierVoilà qui lui rappelera cette phrase qui l'avait déjà bien intrigué : " Laissez les morts enterrer les morts. :"
Olivier
Elle n’aurait jamais pensé faire cela un jour …lorsque juste, par le plus grand des hasards, avant le confinement, j’ai prêté à Marie, l’intégrale de" A la recherche du temps perdu » 35 CD , 128 heures d’écoute !!! elle qui n’avait pas pu faire d’études , et dont la « marâtre » l’avait envoyée très tôt en apprentissage de couture… Le temps a passé , grâce à sa volonté et à sa curiosité, Marie avait accédé par elle-même à la lecture, au théâtre, aux arts, à la musique, au cinéma… bref à la culture !
Aujourd’hui, Marie a 84 ans , toujours élégante, toujours prête à aller voir la dernière expo , je vais régulièrement lui rendre visite. Elle vit seule, veuve, sans enfant, dans un petit appartement sous les toits, qu’elle a su rendre chaleureux…
- Marie, cette fois tu n’y couperas pas! tu m’as souvent dit que ton grand regret était de n’avoir jamais eu le courage de lire les 4000 pages d’" A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust…eh bien j’ai trouvé une solution, je t’apporte les coffrets à écouter de ce monument qu’est "A la recherche du temps perdu" …mais lue par de grands comédiens , que tu apprécies ,comme entre autres André Dussolier, Denis Podalydes, Michael Lonsdale…je suis sûre que tu vas prendre un grand plaisir…à les écouter!
Je la quitte, elle sceptique, moi confiante .
Et puis le temps passe , le confinement débute , s’installe …et voilà qu’un jour, au fil d’une conversation téléphonique, Marie m’annonce qu’elle est arrivée au bout de La Recherche… Un grand Merci! sans toi je ne me serai jamais lancée…me dit-elle fièrement!
- Tu vois Marie, ces 128 heures …ce n’est pas du temps perdu …et je suis heureuse de t’avoir permis d’exaucer ton voeu…
et j’ajoutais: s’il y avait bien une oeuvre à lire recluse dans ta chambre , c’était bien celle-ci:),
Linda BV
Linda