13ème défi
1 mai 2020
Par carole lacheray - Treizième défi - Lien permanent
Souvenirs d'enfance
Lucette m’a transmis ce texte de Tatiana de Rosnay, lu sur le site de France Inter, émission « lettres d’intérieur : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-29-avril-2020
Dans cette lettre adressée à sa voisine, l’auteur invoque les pouvoirs du souvenir et de l'imagination comme remparts à l'angoisse. Alors je vous propose de suivre ce conseil en nous emmenant, vous aussi, sur les traces de l’enfance. Partagez avec nous un voyage au pays des souvenirs…et déposez votre texte en commentaire
Commentaires
Tu sais petit… Oui, je sais, tu n’aimes pas qu’on t’appelle « petit ». Mais avoue qu’on n’est pas grand dans la famille. Ce confinement, ça me fait gamberger. C’est comme si on avait appuyé sur le bouton pause pour nous obliger à revenir en arrière, histoire de se souvenir de qui on est et pourquoi on l’est devenu. Tu vas peut être penser que je radote mais c’est important que tu saches d’où tu viens, alors je vais un peu te parler de moi quand j’avais ton âge. Tu fais la grimace ? C’est pas grave, je continue, faut savoir écouter, tu sais. On habitait à la lisière d’une grand forêt. Avec les frangins, qu’est- ce qu’on a pu jouer dans ce grand terrain de jeu. On était insouciants, on grimpait dans les arbres, on faisait des cabanes, des parties de cache-cache à n’en plus finir ! Les parents, ils étaient pas bien riches. On peut même dire que c’était la misère. Sept gosses : faut les nourrir ! Comment ça, je te l’ai déjà dit ? Peut- être mais tu sais pas tout. Je voulais pas t’effrayer, mais t’as l’âge maintenant pour entendre ce que j’ai à te dire. On n’était pas malheureux mais faut reconnaître qu’on mangeait pas tous les jours à notre faim. Même si certains ont raconté que tes grands-parents voulaient se débarrasser de nous, faut pas les croire. C’est moi qui ai décidé qu’il fallait plus être un fardeau pour eux, c’est moi qui ai embarqué tes oncles avec moi. On était assez grands pour devenir autonomes. Fais pas cette tête là : autonome, ça veut dire qu’on a besoin de personne. Ben dis donc, t’as pas beaucoup de vocabulaire, tu dois pas lire assez. Attends, j’ai pas fini. L’aventure a mal tourné. On a fait une mauvaise rencontre. Et là, retiens bien ce que je vais te dire : faut jamais croire les beaux parleurs. Le type qu’on a rencontré, t’aurais dû le voir ! Grand et costaud comme un chêne, vraiment laid, une tronche à bouffer les petits enfants. D’abord, je me suis pas méfié. Je le connaissais et ses filles, elles étaient dans la même école que moi. On n’avait pas mangé depuis deux jours, alors je lui ai demandé s’il avait pas un peu de pain à nous donner. Et là, le type nous a dit qu’il fallait le suivre chez lui, qu’il allait nous trouver quelque chose à manger. Tu parles ! A peine arrivé dans sa cuisine, il il a pris le téléphone et il a appelé la gendarmerie. « Allo, qu’il a dit, je suis Monsieur Logre. J’ai chez moi sept gamlns complètement affamés. Je sais d’où ils viennent, je connais les parents, pas très recommandables ». Ah la vache ! Et je suis poli, petit ! C’est comme ça qu’on a fini à l’assistance publique. Ça veut dire qu’on n’a plus eu le droit de voir nos parents. T’as dit quoi ? La chance ? Sale gosse va ! C’est ça, retourne dans ta chambre, va jouer avec tes jeux vidéo! T’en sortiras quand tu seras digne d’être un Poucet. Non mais, c’est pas vrai ça, les gosses maintenant ! 0n fait tout pour eux et c’est comme ça qu’ils nous remercient. Pfff …
carolePetit Bout,
Petit Bout que je ne connais pas, toi pas encore né, Petit Bout qui ne me connaît pas, moi à la jeunesse passée.
brigitteSans doute n'aurons-que peu de temps pour nous découvrir, nous côtoyer. Peut-être même pas de temps du tout. Nous ignorons quand tu vas naître et quand je vais mourir.
Pourtant, je t’écris cette lettre en me demandant ce que tu pourras savoir de moi. Tu découvriras une personne au regard clair derrière des lunettes, quelques photos qui défilent sur un écran froid.
Tu ne connaîtras pas les gros albums photos dont on tournait les pages. Ces moments choisis, fixés, qui n'étaient souvent pas le reflet du quotidien, mais plutôt de moments particuliers, exceptionnels, des moments qui devaient entrer dans les souvenirs : naissances, baptêmes, anniversaires, grandes réunions, ….
Ces albums photos qui racontaient en creux l'histoire , autant par ce qui était absent, oublié que par ce qui était trop montré ou affiché. Enfant chez moi pas de télévision, mais des albums photos et aussi ensuite des séances de diapositives qui n'excluaient pas le feuilletage des albums photos. Les diapositives étaient des photos projetées sur un écran ou un mur (blanc et surtout uni de préférence) au moyen d'un projecteur . Tout une installation à faire, parfois on se trompait de sens, il fallait tout revoir, rectifier ou alors pencher la tête pour voir la photo dans le bon sens. Et tout ceci dans le noir.
Toi, tu connaîtras le tout photo, les photos prises et parfois aussitôt jetées. Tu vas vivre dans le monde des images.. J'espère que tu sauras aussi vivre avec les livres, et ouvrir ton imagination en sachant tourner les pages..
Je me souviens avec émotion des lectures faites par notre maîtresse, je devais avoir 7 ou 8 ans, elle ouvrait le livre et nous nous taisions, aucune image ne venait perturber le fil du récit. Je ne sais plus ce qu'elle lisait, de petits romans vieillots, des contes sans doute aussi... Je me souviens juste de ces moments qui me semblaient magiques, parfaits. Ensuite, on « faisait bibliothèque ». . Nous avions droit d'emporter un livre chez nous. Tout était parfaitement organisé. A tour de rôle nous rendions (ou pas) le livre emprunté la semaine précédente. Quand tous les livres étaient rentrés, la maîtresse nous proposait d'en choisir un autre (uniquement si nous avions rendu le précédent, un seul livre à la fois). Le choix se faisait au fur et à mesure des titres énoncés. Moi, j'avais toujours des envies, généralement je savais ce que je voulais, j'en avais parlé aux autres, ou je connaissais les héros (c'était nos séries). J'avais aussi la chance d'avoir des livres à la maison, et d'avoir des parents qui m'avaient lu des histoires (mais ils ont arrêté dès que j'ai su lire bien sûr). Et donc une certaine familiarité avec le monde de la lecture.
Ne crois pas que je sois nostalgique, non j'essaie de penser à ta vie future, Petit Bout, conciliant les bienfaits de la modernité et les atouts de « l'avant ».
J'espère que ta curiosité te pousseras à savoir à quoi servait une tous ces objets bizarres que tu découvriras dans une boîte ou un cageot ou ailleurs ; une clé à sardines par exemple (si tu savais le nombres de sardines que j'ai extirpées d'une boîte pas entièrement ouverte), ou même un ouvre boîtes (à un moment ou à un autre, cet ustensile faisait défaut et on finissait au couteau). Pourquoi est-ce ces objets me viennent à l'esprit ? Et pourquoi pas les cassettes audio, ou un encrier ? Je ne sais.
Tu n'imagineras même pas qu'on puisse laver le linge autrement qu'avec un lave-linge. Moi je me souviens de cette femme qui remontait péniblement de la rivière avec sa brouette lourdement chargée. Elle avait des jambes enflées, rouges, des mains au doigts boudinés sans doute blessés par l'eau et le savon. Elle me faisait peur et m’intriguait. Je devais la croire un peu sorcière. Je ne sais plus comment nous l'appelions... certainement pas par son nom que nous ignorions. Nos parents nous expliquaient qu'elle travaillait dur et que nous devions la saluer, ce qui me semblait terrifiant.
De même qu'on nous expliquait que le livreur de charbon (car on livrait du charbon dans des sacs en toile en jute) n'était pas sale, simplement il avait de la poussière de charbon sur lui. Difficile à comprendre pour de jeunes enfants qui voyaient son visage noirci , ses mains noires. Un de ceux qui travaillait dans le quartier était le père d'une petite fille qui était dans ma classe, elle était rejetée du fait du travail de son père. Elle devait affronter les moqueries méchantes, on la traitait de sale (elle était blonde, sans doute jolie et pas du tout sale). Et puis, elle est devenue ma copine. Et très certainement, elle en a été contente, moi aussi. Je me suis rendu compte que ses parents étaient extrêmement gentils, que leur maison était tout aussi bien entretenue que la notre, et que sa maman faisait de succulents gâteaux. Donc j'essayais d'aller souvent goûter chez elle en sortant de l'école.. mais mes parents n'étaient pas toujours d'accord. Alors nous jouions dans la rue. Des jeux inconnus maintenant : à la balle (j'arrivais, parfois, pas toujours, avec 4 balles) à la corde à sauter (individuelle ou collective, il fallait entrer et aussi sortir au risque de se faire fouetter les jambes par la corde).
Tu vois Petit Bout, un monde qui te sera inconnu.. un monde pas mieux mais pas pire que celui dans lequel tu pousseras.
Petit Bout, surtout j'espère que toujours, tu regarderas les autres avec un intérêt souriant. Moi j'espère avoir la chance de te connaître et m'émerveiller avec toi de tes découvertes.
oici mon texte. Je suis un peu comme le grand-père Poucet de Carole, j’ai tendance à « retomber en enfance » et comme Henri Salvador:
« J’aimerai tant voir Syracuse
L’île de Pâques et Kairouan
..........
Avant que ma mémoire ne s’use. »
Alors je vous emmène dans mon pays d’enfance. Attention, grand saut dans l’espace et dans le temps: 1770 km et 75 ans environ.
La forêt de mauves
J’ai 7 où 8 ans et je vis avec ma famille dans une petite ferme au centre de la Tunisie. C’est le « temps des colonies » . Notre maison est nichée au pied d’une colline, dans les contreforts du Djebel Zaghouan qui domine de ses 1200m d’altitude une vaste plaine qui s’étend jusqu’à la Méditerranée. Il n’y a pas de forêts par chez moi, trop chaud, trop sec.
Ce matin là, avec mon petite frère, nous courons joyeux vers « notre forêt ». C’est un vaste espace, en bordure du champ de blé, couvert d’un épais tapis vert: des mauves sauvages. « des mauvaises herbes » dit mon père. Dieu merci, il a trop de travail pour s’en occuper et nous en profitons.
Nous n’avons jamais vu de forêts, mais nous en avons rencontrées beaucoup dans nos histoires, des histoires qui parlent de la France, ce pays où des enfants peuvent goûter à toutes les joies que procurent les forêts: les jeux, les balades, les parties de cache-cache ( les vraies, celles où on se cache derrière des arbres touffus, pas celles, comme ici, où c’est le tracteur ou la buanderie qui servent de cachette). Toutes les peurs aussi s’y dissimulent : crainte de rencontrer le loup ou de s’égarer.
À « l’orée » de notre forêt ( on dit comme cela dans mes histoires), on se met à quatre pattes et on pénètre « dans le sous-bois » ( on dit encore ça dans les histoires). Bon, les arbres sont de grandes tiges vertes, bien plus hautes que nous( à cause du quatre-pattes), mais l’illusion est parfaite.
Et là, pendant des heures, nous construisons notre forêt enchantée en écrasant les plantes avec nos genoux. Nous traçons des sentiers, nous créons des clairières et de maisons. Les plantes sacrifiées exhalent des odeurs de chlorophylle enivrantes et nos histoires peuvent naître, plus rocambolesques les unes que les autres. Les fées, les ogres, les chevaliers, les indiens, les cow-boys et même Zorro cohabitent sans problèmes. On ne voit pas le temps passer.
Il faudra le « A table! Et allez laver vos mains et vos genoux tout vert! » pour nous faire atterrir dans la réalité.
On reviendra demain et plusieurs fois encore jusqu’à ce que le dur soleil de juillet ne réduise notre forêt en un tas de tiges jaunes et sèches.
J’ai revu ce coin de Tunisie 40 ans après l’épisode « des mauves ». Je n’ai rien retrouvé, rien reconnu, le vent de l’Histoire était passé par là et avait « abimé » tous mes souvenirs. Heureusement, ma mémoire ( avant qu’elle ne s’use) et mon imaginaire, aidés par les photos et Google Earth, me permettent encore de les convoquer à la demande.
lucetteune enfance en noir et blanc
Ce matin, je me suis habillée en marron ; c’est la couleur du passé. Il fallait bien cela pour convoquer mes souvenirs. Sans vouloir faire de l’ombre à Cosette, mon enfance n’a pas été la période la plus heureuse de mon existence. Si j’avais le choix, je raconterai plutôt celle de mes enfants ou de mes petits enfants.
Mes souvenirs me reviennent en noir et blanc. La télé tout d’abord. Elle est arrivée chez nous en 1956, j’avais 7 ans. Les toutes premières images que j’ai vues, encore collées à ma rétine, sont celles de femmes couchées devant les chars soviétiques, lors de l’insurrection de Budapest en octobre de cette même année.
Noir aussi était le charbon, stocké à la cave, dont on remplissait des seaux pour alimenter la chaudière, plusieurs fois par jour. Ce travail ingrat était le mien et celui de ma cadette.
Le blanc, c’était le linge qui bouillait dans la grande lessiveuse grise sur la cuisinière à charbon qui trônait dans la cuisine.
Mais il y avait aussi un peu de bleu, la couleur de ma bicyclette trouvée un matin au pied du sapin ; j’avais 8 ans. Avec ce vélo qui faisait corps avec moi, j’en ai dévalé des pentes et escaladé des côtes avec mes camarades de jeu ; les cicatrices sur mes genoux en sont les témoins. La petite bande investissait les coteaux couverts de lilas qui au printemps parfumaient toute la ville de leurs grappes violettes.
Mais la couleur que je préférais, c’était le bleu-vert, celui de la mer dont je rêvais toute l’année.
Tous les ans, mon père emmenait en Normandie sa femme et ses trois filles pour un mois de vacances. Il regagnait Paris et les rejoignait le week-end.
Tous les ans, une destination nouvelle : Villers-sur-Mer, Houlgate, Cabourg, Saint-Martin-de-Bréal, Pourville … Sur la route, il fallait bien se distraire. Je me souviens d’un jeu où j’excellais, réciter les publicités qui passaient sur les ondes de la radio. Comme « Badadi et Badadoit, la meilleure eau, c’est la Badoit » ou encore « La mayonnaise Amora : les homards attendaient une mayonnaise, de mémoire de homard, on n’avait jamais vu ça ! »
Et notre jeu favori, le point d’orgue du voyage ; laquelle des trois sœurs verrait la mer, la première.
De ces séjours, qui se ressemblaient beaucoup, avec la Manche en toile de fond, il me revient par flashes quelques images : l’achat de bouées, de seaux, de pelles et d’épuisettes dès l’arrivée, les clubs Mickey, la pêche aux crevettes et aux couteaux, les concours de sable du Figaro. Un Parthénon bancal et un chien souffreteux … Des odeurs : le plâtre d’une maison tout juste terminée pour la saison, le renfermé d’une villa ouverte uniquement l’été, le pourri d’un fruit oublié dans le placard d’un logement, au fond d’une sombre impasse. Les parents choisissaient leur lieu de villégiature en parcourant les petites annonces des journaux, nous n’étions jamais à l’abri d’une mauvaise surprise !
Je ne pourrais pas refermer la boîte aux souvenirs marins sans évoquer le clou incontestable de nos journées à la plage : le goûter pantagruélique que nous préparait notre mère : une demi-baguette tartinée de beurre, de confiture et de miel. Peut-être à l’origine de mes actuels bourrelets.
Et me voilà aujourd’hui, au bord de cette même mer, pour d’éternelles vacances, mais privée de mon fastueux goûter !
heyliettDes souvenirs d’une enfance
mitsouC’était au mois de mars 1955.
A cause d’une épidémie très contagieuse, ils se trouvaient retenus à la maison
depuis…beaucoup de jours, l’école était fermée, on ne savait pas jusqu’à quand, et là ils
commençaient à trouver le temps long, loin de leurs petits camarades.
- Dis, Jacques, tu veux bien jouer avec moi ? a demandé Agnès
- Oh oui ! On jouerait au Papa et à la Maman…
- Ah non, on ferait plutôt une pièce de théâtre ! a proposé Agnès.
Comme ça, on pourrait inviter toute la famille au spectacle, ça nous ferait des sous.
- Alors, on aurait dit que moi, je serais le général qui commande, et qu’il faudrait que tous les
hommes partent à la guerre contre un ennemi très méchant ! a dit Jacques.
- Oui, a répondu Agnès, mais alors on aurait dit que les femmes aussi elles allaient faire la
guerre.
- T’es bête, a dit Jacques, ça s’peut pas ! Les femmes, il faut qu’elles restent au village pour
s’occuper des enfants et des vieux.
- T’as rien compris ! a répondu Agnès. Les femmes, pendant la guerre, elles sont pas obligées
de partir à l’autre bout du monde, tu sais.
D’abord, on aurait dit que je serais kiné, comme ça je soignerais tous ceux qui auraient mal
quelque part.
- Et nous aussi, quand on rentrerait avec des blessures, tu pourrais nous soigner pour qu’on
puisse repartir faire la guerre jusqu’en Amérique.
- Ben oui, a dit Agnès, parce que moi, quand je serai grande, je serai aussi infirmière.
Kiné et infirmière.
Et puis aussi prof d’Anglais, pour comprendre tous les mots compliqués des médicaments.
- Mais non, t’y connais rien, a dit Jacques, les noms des médicaments c’est pas de l’Anglais,
c’est du Latin, c’est mon père qui me l’a dit !
- N’empêche, a dit Agnès, les médecins et les savants qui travaillent dans les laboratoires,
c’est en Anglais qu’ils doivent parler, je le sais mieux que toi parce que ma tante, elle, elle
travaille dans un laboratoire !
- Peut-être. Mais comment on va faire, nous, pour dire des mots en Anglais dans notre pièce
de théâtre, hein ?
- Ben on va faire semblant, on va baragouiner c’est tout. Pfff, t’as vraiment pas d’imagination !
- De toute façon, a dit Jacques, moi j’m’en fiche, parce que, quand je serai grand je serai
Président de la République, comme ça j’aurai toujours un traducteur avec moi.
Et je pourrai même aller jusqu’en Amérique, et jusqu’en Chine pour faire la guerre à l’ennemi.
La forêt de mauves
Voici une suite de ma « forêt de mauves », mi-souvenirs, mi-faits historiques ( les italiens
occupent la Tunisie de 1942 à 1943. L’armistice est signée le 12 mai 1943 le jour de mes 5 ans).
J’ai essayé le conte pour changer.
Carole, je te laisse le choix de publier ou non.
Gros bisous à tous. J’ai attrapé le virus de l’écriture, je ne peux plus m’arrêter.
Le printemps est doux en ce mois de mai 1943. Les tirs de la DCA italienne partant de l’ancienne
carrière, derrière la maison se sont subitement tus. Les parents ont entendu à la radio la
merveilleuse nouvelle: la Tunisie est libérée, la guerre est finie en Afrique du Nord.
La fillette sort de la maison et presse le pas vers sa forêt de mauves. Son frère a préféré
accompagner leur père sur le tracteur. Tant pis elle jouera toute seule dans la forêt de mauves.
Il faut dire que la guerre, le tracteur et son frère ne sont pas ses préoccupations principales
aujourd’hui. Aujourd’hui est un grand jour pour elle, c’est son anniversaire, elle a 5 ans.
En arrivant près du champ de mauves qui est en train de devenir mauve à cause de jolies fleurs
qui s’épanouissent sur les grandes tiges, elle s’arrête un instant. Sa forêt semble toute froissée et
chiffonnée comme si un objet non identifié s’y était posé. Elle entre sur les genoux, lentement,
précautionneusement, silencieuse, l’oreille aux aguets. Sa clairière a subi quelques dommages de
feuilles brisées, mais rien de grave. Elle s’assoit et essaie d’imaginer un jeu à faire toute seule. Elle
se couche en chien de fusil et ferme les yeux pour essayer de stimuler son imagination. Tout à
coup quelque chose de très doux effleure sa joue. Elle s’assoit et voit une magnifique perdrix qui
la regarde de son petit œil noir. Elle n’a pas l’air effrayé et émet un léger roucoulement de gorge
qui fait surgir du sous bois de mauves 5 autres perdrix. Elle connaît ces magnifiques oiseaux
qu’elle a déjà vu, morts, dans la gibecière de son père quand il rentrait de la chasse. La fillette
n’en croit pas se yeux. La perdrix qui semble être le chef de la bande s’approche encore un peu.
Elle est magnifique. Une bande de plumes noires lui couvre le front, s’étend autour de ses yeux,
descend en collier autour de son cou et forme un bavoir blanc parsemé de taches noires. Sur tout
le reste du corps des plumes bleue lavande sont barrées verticalement de lignes blanches, noires
et noisette. Un bec et des pattes rouge vermeil complète le costume d’apparat.
-« que vous êtes beaux!
- Buongiorno.
- Tu parles?
- Je suis italien
- Italien? Comme le commandant qui habite dans un camion-maison derrière chez moi? Je
l’aime bien celui-là, il me donne des bonbons.
- Oui, je suis un soldat italien et je campe avec mes camarades au pied de la grande montagne
là-bas.
- Je ne comprends plus rien. Vous êtes des perdrix ou des soldats?
- Je sais c’est un peu compliqué mais je vais tout t’expliquer. »
Les perdrix s’accroupissent contre les jambes de la fillette et tout le monde écoute le récit du chef
perdrix.
Il s’appelle Livio, il vit à Rome en Italie, il est marié et il a une petite fille. La guerre est arrivée et l’a
engloutie dans une aventure infernale. Les armes, les bruits de canons, les bombes des avions...il
n’en peut plus. Il n’a rien demandé. Il n’a pas d’ennemis, lui! Obéir, courir, toujours avoir peur et
se retrouver dans un pays étranger si loin de chez lui ce n’est plus possible! Alors, un jour, avec
ses copains, ils décident de partir, de déserter. On leur a parlé d’un marabout très puissant qui
fait des miracles. Un soir, sans bruit, ils quittent le camp pour aller voir Abdelkader le grand
marabout de Sidi Brick. Le brave homme les écoute et comprends qu’ils sont des hommes de
paix et pas des bandits. Puis il rentre dans son gourbi et en ressort peu après avec un petit sac
de jute dans les mains.
-« voilà, le meilleur moyen pour aller loin sans être vu c’est de devenir un oiseau. Si vous êtes
d’accord et je ne vous cache pas qu’il y a des risques, je peux vous transformer en perdrix.
- on est d’accord, on est d’accord.
Bon. Vous allez croquer un grain de blé magique qui se trouve dans ce petit sac en disant cette
formule: « Hali! Halou! Teyir! Mektoub! » teyir en arabe veut dire perdrix. Vous allez donc vous
transformer en perdrix.
- Et pour redevenir hommes?
- C’est simple, vous croquez un grain de blé et dans la formule vous remplacez « teyir » par
« rajul » qui veut dire « homme » et surtout n’oubliez pas de rajouter « Allah Akbar » pour
remercier Dieu de vous avoir aidés.
La petite fille bouche bée écoute ce conte fantastique. Elle aime bien les contes fantastiques.
Tout à coup elle dit:
-« vous savez les italiens, si vous voulez rentrer chez vous, il vous suffit de redevenir des
lucettehommes, de traverser le champ de blé et d’arriver à la route. Depuis ce matin, la guerre est finie et
des camions remplis de soldats italiens qui crient et qui chantent en agitant des drapeaux blancs
défilent sur la route. Ma maman m’a dit « ils sont contents, la guerre est finie, ils rentrent chez
eux. »
- Hourra , les gars!!! On y va!!! Hali! Halou! Rajul! Mektoub!! Allah Akbar!!! »
- Et sous les yeux ébahis de la fillette, la compagnie de perdrix devient une compagnie de jeunes
soldats italiens hilares.
- « attention, faites comme moi restez à genoux si non on va vous voir! Bonne chance !
- Merci petite fille, grandis bien et deviens une femme de paix. »
Les soldats entrent à genoux dans le champ de blé et la petite fille qui dans ses jeux dans la forêt
de mauves faisait partie des petits hommes du conte de Gulliver se redresse et devient Gulliver
lui-même, le géant dominant la grande forêt . Elle voit un sillon mouvant dans le champ de blé et
un peu plus tard des hommes qui sortent du fossé et grimpent avec leurs camarades dans un
camion.
Encore émerveillée par son aventure, elle regagne sa maison.
A-t-elle rêvé?
Elle ne racontera rien à son frère. Tant pis pour lui puisqu’il a préféré le tracteur.
Est-ce qu’on la croira quand elle racontera cette histoire? C’est décidé elle ne dira rien à
personne.
Elle qui adore les histoires, elle vient de vivre dans une vraie histoire et elle était un des
personnages. C’est extraordinaire.
C’EST SON PLUS BEAU CADEAU D’ANNIVERSAIRE.
Ces jours-ci me préoccupant de sa santé j’appelai une amie.
carmenProfitant de cette occasion je l’amenai dans dans notre conversation, dans les meandres de nos souvenirs.
Ces années si vite passées et perdues à jamais.
« t’en souviens tu? «
« oui « j’avais cinq ans à peine «
J’entends au loin comme un écho les sabots d’un cheval; un son un trot léger à peine perceptible au bout de la rue. Je le reconnais.
En cette fin de journée embaumée des fleurs de Mai ma tête me tournait, la nuit lentement tombait.
Le cheval s’immobilise. Silence.
« viens tu? «
Notre vieil ami avait l’habitude de prendre le même itinéraire. Monter dans sa charrette était un cadeau royal comme s’il m’avait été offert de monter dans un carrosse pour un long voyage. De ses mains anguleuses il me souleva. La pénombre envahissait la nuit; il faisait doux.
Pépé avait un certain talent pour nous conter des histoires. ( ce qu’il faisait fort bien les nuits d’hiver au coin du feu )
En vieux paysan il m’expliquait le secret des planètes; j’ecoutais bouche bée sans comprendre mais je buvais ses paroles.
« regarde le ciel est couvert d’etoiles et de temps si tu regardes bien tu vois des étoiles qui se décrochent et filent «
Lorsque nous cheminions une lune énorme nous guidait; je pensais qu’elle allait se décrocher tellement elle se rapprochait du sol.
« lève les yeux; tu as l’etoile du berger qui brille plus que les autres et qui brillait de mille feux au dessus de Bethleem «
Bethleem ! Je sens comme le goût d’une friandise.
« derrière tu as le charriot «
« comme ta charrette? «
« oui mais ce sont trois charrettes qui se dessinent dans le ciel «
Enfin je veux bien le croire.... et pourquoi pas les trois petits cochons, les trois ours....
Je baillais; les roues s’accordaient au rythme des sabots. Les rues étaient désertes, un chat noir traversa la chaussée en miaulant . Ma tête dodelinait de droite et de gauche.Dans le sous bois la chouette dérangée jeta son cri, un chien en vadrouille aboya à notre approche.
Je ne voyais pas le temps s’ecouler j’etais heureuse.
Pépé me fit sursauter avec sa voix bourrue.
« allez oust nous sommes arrivés «
J’aurais voulu que ce moment ne s’arrete jamais.
« à demain Pépé «