Souvenirs, souvenirs
3 fév. 2021
Par carole lacheray - Souvenirs souvenirs - Lien permanent
Bien des auteurs font appel aux objets comme réminiscence sensuelle du passé : un jouet, une robe rouge, un fauteuil, une carte, un coquillage...
Cette semaine, la météo était propice au farniente et je me suis replongée dans la lecture de l’espace antérieur, de Jean-Loup Trassard. Une de ces lectures vagabondes, petites scènes évoquant des souvenirs, et que vous pouvez lire dans le désordre.
"Vos souvenirs ? Les miens ? Peu importe. Qui n'a été enfant ? Qui ne connaît ces éclosions en surface de la mémoire d'images montées du fond, lumineuses, étonnamment précises quoique assiégées de flou, silencieuses ? Si vous capturez ces images, entreprenez par exemple de les retenir par l'écriture, les armoires du fond demeurent entrouvertes, et la mémoire, sorte d'étang obscur, s'agite, laisse affleurer d'autres images qui, une à une, se détachent du passé, traversent l'opaque, doucement surgissent, aujourd'hui s'imposent à la rêverie. »
Certains prennent à nos yeux une valeur particulière. Souvent liés à un souvenir, à un être aimé, les objets cristallisent nos émotions et nos sentiments : amour, tristesse, joie, peur, désir, jalousie.
Je vous propose donc de répondre à l’invitation de l’auteur :
Faites la description la plus précise d’un objet présent dans vos souvenirs (réels ou fictifs, actuels ou futurs) et présentez le comme une énigme, sans le nommer.
Les précisions apportées par le texte permettront de le deviner tout en lui conférant un peu de mystère. A nous de deviner ce que cela peut être…
Un exemple avec cet extrait :
« Deux petites poches à ma culotte courte. De l’une je sortais pour le regarder l’objet parfait et énigmatique. J’étais sur l’herbe de notre pré, celui qui touche le jardin, où sont quatre poiriers à cidre, et j’avais ce souvenir du lointain. Absolument mystérieux. Bleu assez pâle, où surtout terni par l’usure. Un côté bombé, l’autre moins, c’était presque rond. Rencontré entre vagues et page... je me souviens que je savais plus... pas une pierre ou alors très riche, pas un coquillage malgré formes, couleurs, nacres versées sur le sable par le bord agité de la mer où je n’entrais pas. Dans ma paume cette presque boule usée, c’était parcelle de l’inconnu sans contours que je tenais. Là sur l’herbe, entre les poiriers, peut-être cinq ans, une rêverie vague. »
Jean-Loup Trassard, L’espace antérieur, Gallimard, 1993.
Avez-vous deviné ?
Ecrire une description d'un objet implique de permettre au lecteur de se le représenter avec tous ses sens : donner à voir au lecteur, mais également à entendre, goûter, sentir et toucher. Si vous parlez d’un livre par exemple, évoquez le bruit des pages que l’on tourne, son poids dans vos mains, les couleurs de la couverture… L’expression des sensations et des sentiments procurés par ce qui est décrit est aussi essentielle.
Comme dans cet extrait, la première phrase de votre texte nous renseignera sur le lieu où se trouve l’objet, une phrase sans verbe, comme pour légender une image, premier indice de notre quête…Surtout, ne nommez pas l’objet, c’est à nous, lecteurs, qu’il reviendra de le deviner !
Je vous souhaite de faire surgir de jolis souvenirs que j’ai hâte de découvrir.
Commentaires
Je suis assise à la table de la grande cuisine qui ouvre sa fenêtre sur la cour. J'aime être là, les moineaux habitent le rosier grimpant, le chat les guettent, et moi j'y joue et observe tout ce petit monde. Lui est devant moi de façon évidente. Je caresse ses formes arrondies et lisses, je ne regarde même pas ses couleurs profondes. Parfois il réchauffe mes mains, parfois il est froid ou ni chaud ni froid. Il sait dégager des odeurs chaudes de chocolat. Je découvre d'étranges dessins dans ses fonds asséchés. Je refuse de considérer sa fragilité, je ne sens que sa force naturelle. Sans que je ne m'en rende compte, une complicité s'est installée entre nous. Pas de journée, sans que j'y porte mes lèvres gourmandes. Je ne sais pas encore qu'il disparaîtra au cours du déménagement qui nous a fait quitter cette maison que j'aimais tant.
BrigitteEnfant, tu m’attirais...envie de faire comme les grands...comme Maman.
Je t’ai un peu utilisé, pour le plaisir, sous l’œil attentif de Maman. Puis je t’ai oublié, comme Maman d’ailleurs. Pourtant, elle t’a toujours conservé malgré ses déménagements, car, après son décès, je t’ai retrouvé dans son grenier.
Depuis, tu trônes sur ma cheminée.
J’aime ta fonte noire qui luit doucement et quand je t’époussette, les images d’autrefois affluent.
J’ai dix ans, je traîne mon ennui, seule fille au milieu de trois garçons qui ne veulent pas de moi dans leurs jeux. Je suis assignée à la maison avec pas une seule copine à moins de 20 km. Alors je regarde ma mère, je la suis partout et je rêve de faire comme elle.
Maman te manie avec assurance mais avec prudence aussi. Avec ton frère jumeaux tu navigues de la cuisinière à la table protégée d’une couverture.
Tu peux être très dangereux a prévenu ma mère, car tu es lourd, beaucoup trop lourd pour une petite fille.
J’assiste alors à un ballet très codifié. Tu restes un certain temps sur la cuisinière, puis maman te saisit avec un manique, elle t’approche de sa joue et quand elle te pose sur la table, tu pousses un long soupir accompagné d’un petit brouillard. Puis, guidé par la main experte de maman, tu glisses sur le linge comme un patineur sur la glace. Parfois aussi un odeur de brûlé se répand et Maman jure. Non, je n’ai rien entendu...
Aujourd’hui, quand je te regarde, je revois la cuisine, je revois Maman, j’entends les bruits, je sens les odeurs.
Mais oui, tu sens l’odeur de ma maison...là- bas...autrefois...tu sens l’odeur de mon enfance.
lucetteDu bout des doigts.
Le simple fait de l'effleurer me ramène à ma plus tendre enfance. C'est immédiat tant cette petite chose insignifiante m'a accompagnée toutes les nuits, et ces moments où seul je trouvais la douceur et le réconfort à son contact. Elle n'appartenait qu'à moi. C'était un doux chatouilli quand mes doigts glissaient sur son bord. Je l'avais d'ailleurs appelée Guilic Guilic. Quand les nuits étaient trop noires ou que j'avais été grondé et que la tristesse s'invitait, Guilic Guilic me sécurisait et m'appaisait. C'était une sorte de doudou. Un doudou plutôt improbable né d'une rencontre entre un petit garçon et une matière bien particulière.
Avec les couettes, on peut dire que le pauvre est définitivement en voie de disparition. Et quand, la chance le veut, dans une maison où on fait encore le lit avec des couvertures, je peux caresser leurs bords et parfois retrouver sa douceur satinée et les souvenirs qui y sont liés. Je me revois alors chez ma mamie quand je dormais dans son lit près d'elle ou encore dans la chambre à coucher du deuxième étage que je partageais avec mon grand frère. C'était il y a plus de 40 ans. Douce nostalgie.
guillaumeDans un des tiroirs du petit meuble. Celui qui occupe le coin du salon depuis trente ans. Celui dont je n’ai jamais rangé le contenu. Celui dans lequel s’accumulent les petits objets inclassables : stylos, punaises, cartes, piles usagées et autres babioles. Un simple carré de tissu. Soyeux et plissé. Plié en deux, il tient dans ma main. Je reconnais le léger parfum qui s’en dégage, celui que je portais autrefois, celui dont les effluves iodées enchantaient mes journées. Un simple carré, objet suranné, témoin d’un passé depuis longtemps révolu. On ne porte plus désormais de ces ridicules bouts de tissus, preuves de notre improvisation ignorante d’alors. Trente ans déjà. Je me souviens parfaitement que j’oubliais régulièrement de l’emporter. Acte manqué, sûrement. Je n’aimais pas le porter, il symbolisait ce que j’exécrais : la sensation d’impuissance et la crainte, la barrière qu’il imposait entre le monde et moi. L’objet semblerait ridicule s’il n’était associé à une rupture brutale avec le mode de vie antérieur à son apparition : celui où l’on pouvait encore embrasser ses enfants et caresser ses chats sans craindre pour sa santé. Même sa couleur prête à sourire aujourd’hui : un bleu clair rappelant sadiquement la couleur d’un ciel pur. Je l’enfile, retrouvant les gestes d’autrefois, attachant les élastiques à mes oreilles, plissant le haut pour qu’il adopte la courbe de mon nez. Mais je refuse de me laisser aller à la nostalgie, mon grand âge m’interdit de me retourner vers le passé au risque de m’y noyer. Je le repose et referme le tiroir. Un petit tour dans la cour me fera du bien, bien qu’il me soit de plus en plus difficile de lever les bras pour enfiler mon scaphandre de protection.
CaroleQuand je ferme les yeux et que je repense à ma « tendre jeunesse »..., J’ai plein d’objets et de moments nostalgiques qui me reviennent à l’esprit.
Mon père, bricoleur jusqu’au tréfonds de son ADN, nous fabriquait pour mes trois soeurs et moi des jouets pour Noël.
Il se donnait du mal pour les fabriquer à la taille de chacune d’entre nous.
Je me souviens en particulier des berceaux à baldaquin en bois sur roulettes que Maman avait habillés de jolis draps en finette et de voilages colorés. Quel merveilleux souvenir de Noël... Mais, plus tard, une année où j’avais bien grandi, où, je pouvais avoir autre chose que mes soeurs tout en partageant mes jeux avec elles, j’ai reçu en cadeau une épicerie !
Fabriquée de panneaux et de petits casiers plus un comptoir, je m’installais contre un mur et je jouais à la marchande ; mes soeurs et mes copines devenaient mes clientes. Mes petits casiers, remplis de miniatures de pots et de paquets, représentaient de vrais produits, les petits légumes étaient en plastique. C’était vraiment chouette... Mais, le plus prodigieux dans cette boutique était un élément essentiel qui me procurait un plaisir intense.
Comme sur une vraie, mes doigts tapaient sur des petites touches qui enclenchaient un petit bruit et hop, apparaissaient dans la petite fenêtre en haut, des rectangles imprimés affichant la valeur marchande des produits. Au fur et à mesure de l’utilisation, une bande de papier qui restait blanche malheureusement... ressortait pas la fente bordée d’une petite scie. Arrivée au terme de la saisie des courses, j’actionnais dans un autre cliquetis une manivelle sur le côté. Et là, joie suprême, un tiroir s’ouvrait au son d’une clochette et faisait apparaître des compartiments où étaient bien rangés, par taille et valeur, des jolis faux billets de banque et de la monnaie en plastique. Ce moment était pour moi un vrai bonheur de jouer la marchande.
Et hop !
« Cela vous fera 7.50 Frs », Merci Madame, voici votre tiquet » et je déchirai au son de la petite fente dentelée le ruban de papier blanc, « Au revoir Madame »
J’ai encore aujourd’hui, dans ma mémoire, le son du cliquetis et de la clochette de cet objet mécanique qui me procurait tant de plaisir.
ChristianePetite je n'avais pas beaucoup de jouets......Alors j'en prenais soin et les années passaient et il y en avait un que j'ai particulièrement choyé, que j'ai traîné pendant mon enfance, mon adolescence et même une fois mariée : je la posai sur mon canapé " pour faire jolie", elle était belle et impeccable après tout ce temps.Je devins maman d'un petite fille pleine de vie turbulente, et plutôt garçon manqué, elle s'en servait d'abord normalement mais souvent elle l'a maltraitait la secouant la tapant contre les meubles parce que elle n'etais pas sage...LOL...et ce jouet que j'avais soigné dorloté est devenue bon à jeter! Ce jour là mon cœur était serré......la roue tourne! Il y a si longtemps...........
JosefaL’objet mystère
Abandonné sur le vieux buffet de la cuisine.
heyliettIl est fait d’un joli bois clair, lisse et doux au toucher, prolongé d’une partie de cuir à l’odeur tannée.
Petite, je ne voyais pas à quoi pouvait servir cet étrange objet, peut-être à chasser les mouches.
C’est plus tard que j’ai découvert la vraie nature de cet ustensile.
Après une grosse bêtise, le bris d’un flacon de parfum sur la coiffeuse de chêne clair, avouée à la découverte du dégât irréparable, il m’en a cuit !
Ma vengeance a été terrible, je lui ai taillé une brosse à la punk. Les années ont passé, il a fini brûlé dans un grand feu de joie au fond du jardin. Bien fait !