Sentir une odeur suffit à nous transporter autre part, à un moment de notre vie en quelques secondes

« Ce fut le dimanche matin, vers mes neuf ans, que m’arriva dans le demi-sommeil de l’aube ce signe de la différence des hommes. 
Mon père entrait doucement dans la chambre où je dormais avec ma sœur, se penchait vers moi et m’embrassait légèrement pour ne pas me réveiller. Et l’odeur me submergeait. Je ne savais ni la nommer ni l’analyser mais je la reconnaissais. C’était celle de sa veste de chasse, de son passe-montagne de laine, de tous ces vêtements de toile épaisse, usés et délavés qu’il portait de dimanche en dimanche d’automne et d’hiver, de l’ouverture à la fermeture, sans qu’entre-temps ils fussent lavés.
(…)
J’aimais chacune de ces odeurs. Pourtant je n’en aurais pas voulu pour moi, mais je les aimais au point de les chercher sur la veste de grosse toile usée quand j’ouvrais la penderie. Car, cette odeur-là, je la plaçais au-dessus de toutes, elle était de loin la plus excitante. Un des premiers hommes dont je tombai amoureuse était toujours vêtu de velours et sentait le matin de chasse. Peut-être n’était-il pas très soigné. J’eus l’imprudence de lui dire — c’était de ma part un compliment mais il ne pouvait le savoir — qu’il m’évoquait le « lapin de campagne ». C’est peut-être à cause de cela qu’il y eut entre nous ce grand froid qui précéda un ratage définitif. »

Du côté des hommes de Marie Rouanet (Albin Michel, 2001)

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