On fête la convivialité de se retrouver en terrasse, de parler sans restriction. Prendre un cocktail, c’est chaud. Il y a souvent des couleurs d’îles, des rouges tropicaux, des saveurs de noix de coco, un petit côté soleil Club Med à boire au deuxième degré, en se moquant de sa propre soif, d’une gourmandise enfantine que le rhum va créoliser.

Et puis il y a le mojito. Trrrrrr ouille ouille ! Le mot est sud-américain. Mais on attend bien autre chose. On a beau continuer à suivre la conversation, feindre l’indifférence, quand le serveur dépose le verre sur la table, on sent qu’une aventure commence.

C’est tellement pervers, tellement trouble.

D’emblée, une invite à plonger, à s’embarquer vers des fonds sous-marins qu’on aura bien du mal à maîtriser. On va nager à la recherche d’une épave, peut-être, ou bien pour caresser des algues étranges, qui veulent emprisonner ou caresser, l’équivoque est tentante.

Le mojito, c’est à la fois opaque et transparent. Dans les verts, bien sûr, mais dans les noirs aussi, avec des zones un peu plus claires à la surface et des mystères insondables tout au fond de l’apnée. On y trempe les lèvres, surpris de cette fraîcheur qui sait prendre les oripeaux d’une moiteur de marigot. Tout cocktail impose une consommation lente, entrecoupée de pauses, d’abandons et de retours. Avec le mojito, on ne domine rien. La dégustation devient fascination, et c’est lui qui commande. Le plus étonnant est cette persistance du sucré dans une mangrove aux tons si vénéneux. On se laisse pénétrer par une fièvre froide, on s’abandonne. Au bout de cette errance glauque on sait que vont venir une chaleur, une euphorie

Mais il faut dériver dans la forêt feuilles de menthe, ne pas craindre de s’engloutir, abandonner l’espoir de la lumière. Nager toutes les transgressions, se perdre, s’abîmer, chercher infiniment, descendre. Alors montera le plaisir.

 Philippe Delerm

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