8ème défi
il est temps de s'évader un peu, le soleil nous y invite. Alors voici un nouveau défi d'écriture :
Confiné(e) : bouclé(e), isolé(e), cloîtré(e), enfermé(e)… Peut- être, mais rien ne peut nous empêcher de rêver !
Alors, je vous invite à partir en voyage. Fermez les yeux, inspirez- vous d’une musique, de l’odeur d’un plat exotique, d’un parfum, ou laissez simplement venir à vous les images d’un lieu imaginaire. Racontez votre périple dans une lettre adressée à un destinataire de votre choix (vous savez, ces longs messages qu'on écrit sur papier et qu'on envoie dans une enveloppe timbrée...) . L’endroit que vous visitez est forcément insolite, pas forcément lointain. Ayez le regard curieux du voyageur qui découvre un lieu. Eveillez tous nos sens pour que nous puissions partager votre flânerie.

Commentaires

11 avr. 2020 10:25

« Aujourd'hui 10 avril 2020, 24ème jour de confinement, c'est le bon jour pour aller voir ailleurs...

Elle est assise au soleil, dans la chaise longue au tissu fatigué, cela lui semble évident « aller voir ailleurs »

Elle le répète, le chantonne, le murmure, le susurre, mélange les mots, rit en pensant à Monsieur Jourdain, se met à crier : ailleurs voir aller, et méthodiquement essaye toutes les combinaisons, ailleurs aller voir, ailleurs voir aller, voir ailleurs aller, voir aller ailleurs, aller ailleurs voir ! Cela l'amuse mais ne lui apporte aucune solution concrète.
Elle reste là, les yeux mi clos, l'esprit dans le vague, suspendu, sans idée, sans même en chercher, elle se laisse imprégner par les chants d'oiseaux... Le troglodyte mignon est tout près, elle l'entend. Elle est toujours étonnée par la vitalité de son chant. Elle aime imaginer que ce passereau, parmi les plus petits, se plaît à venir chez elle, et qu'il cherche toujours à lui raconter ses expériences diverses. Voilà qui lui fait plaisir et ne fait de mal à personne.
Alors elle l'écoute, le petit troglodyte, en souriant. Elle sommeille. Les tjek tjek réguliers rythment sa torpeur.
Aller voir ailleurs, tjek tjek, tjek, aller tjek tjek voir tjek tjek ailleurs tjek tjek.

Tu crois que c'est comme cela que tu vas y arriver ? Regarde-toi, avachie sur ta vieille chaise longue, moi il y a longtemps que je me la serais reconstruite ou tout au moins rénovée ! Allez bouge-toi !

Laisse-moi, je suis bien, je réfléchis comment aller voir ailleurs.

Bon, je vais t'aider, je t'aime bien, je sais que tu as cherché à me connaître mieux, sans être intrusive, sans me jeter de la nourriture qui ne corresponde pas mes goûts.

Ah ! Tu as remarqué ? C'est chouette, merci de me le dire !

Elle se remue, se secoue, regarde autour d'elle, elle est sûre d'avoir dialoguer, elle regarde autour d'elle, personne, le soleil brille, les oiseaux chantent, le troglodyte se tait. Perdrait-elle la tête ? Ou alors elle s'est endormie. Pourtant elle est certaine d'avoir entendu cette affirmation « Je vais t'aider », alors qu'elle n'a pas demandé d'aide (ce n'est pas son genre).

Bon, tu te bouges, allez lève-toi !

Cette fois ci-elle est bien réveillée, l'esprit en alerte, et pourtant toujours personne dans ce petit jardin..

Elle commence à s'affoler.. Partir ailleurs, d'accord, mais pas dans un hôpital psychiatrique ! Elle veut bien être fantaisiste, imaginative, loufoque, mais pas Jeanne d'Arc !

Tu pourrais au moins me regarder, je sais que je ne mesure pas même 10 cm et ne pèse pas plus de 8 grammes, mais quand même j'existe, alors regarde-moi s'il te plaît, nous allons passer quelque temps ensemble, il faudra t'habituer.

Suspicieuse, elle observe partout, personne, seul le troglodyte est posté dans l'herbe, juste en face d'elle, bien campé sur ses solides pattes roses, il la regarde avec attention.

Salut, toi, dis donc, tu deviens bien familier, comment vas-tu ? Moi je crois que je suis en train de perdre la tête. Ça m'inquiète. Je crois que j'entends des voix, ou alors je me dédouble, ou je deviens schizo mais je ne veux pas aller en hôpital psychiatrique, tu le diras, hein ?

Ah quand même tu te décides à me regarder, à me considérer, même les yeux ouverts ! Bon on avance.

…Ne prends pas tes yeux de merlan frit, oui c'est moi qui te parle, oui je te comprends, et oui tu me comprends. Il était temps. Je suis petit mais costaud et résistant et aussi futé. Je t'ai entendu chantonner, murmurer, susurrer que tu voulais aller voir ailleurs, je me suis dis que j'allais être sympa et te venir en aide.

Donc je ne rêve pas, donc je suis en train de converser avec toi, petit troglodyte mignon, et tu me proposes de m'aider à aller voir ailleurs, c'est bien cela ? Mais c'est incroyable !

Bravo, tu as tout compris ! Youpi !

Tu sais que je suis grande, maladroite, que je ne sais pas voler et que les transports sont très réduits en ce moment.

Mais oui je sais tout cela, mais il faudra juste que tu me suives, et que tu fasses exactement ce que je te dis de faire.

Elle est perplexe. Comment est-ce qu'un minuscule oiseau, aussi hardi soit-il, va pouvoir l'aider à aller voir ailleurs. Elle doit peser 6 000 ou 7 000 fois son poids, mesurer 16 fois sa taille, il y a forcément un problème d'échelle.. Comme si elle devait guider une baleine !

D'abord, ferme les yeux et pense à des plumes, plus précisément pense aux plumes beiges qui me dessinent des sortes de sourcils. Et puis maintenant pense aux plumes qui forment mes ailes... ça y est, tu visualises tout cela ?

Oui, laisse-moi un peu de temps, je me sens toute drôle, très légère.

Bon remue un peu tes bras, doucement puis de plus en plus fort et vite, mais tranquille, tout va bien.

Alors doucement, elle se sent comme soulevée par une force ténue mais sûre. Elle se sent bien.. Elle commence à comprendre, elle vole, elle en heureuse et apeurée. Mais aussi incroyable que cela semble, elle vole ! Pas très haut, mais assez pour survoler le mur et se retrouver dans les airs au dessus de la rue.. Là elle est prise de panique, les gens vont la regarder bizarrement, ils vont l'attraper, la jeter en prison ou en hôpital psychiatrique la lyncher !

Mais non, personne ne fait attention à elle, personne ne s'étonne de voir une femme voler. C'est incompréhensible ! Elle prend le temps d'observer les rares passants ; ils se saluent de loin, ils se sourient, ils forment des queues espacées devant les magasins. Tout est tranquille, au moins en apparence,

Allez ne traîne pas, suis-moi, je vais aller vite, tu ne dois pas me perdre de vue.

Où allons-nous ?

Tu veux aller voir ailleurs ?

Tu me conduis ailleurs, mais où ? Il est loin cet ailleurs ?

Non, tu le connais mais tu ne l'as jamais vu comme je vais te le montrer. Nous allons être discrets. Je suis content tu vas voir, c'est formidable. Avant j'ai un truc à vérifier.

Dis-moi si on se perd, comment je fais pour te retrouver ?

Tu m'appelles Albtjek Albtjek

Je n'y arriverai jamais !

Elle se met à essayer et lui à la féliciter.... elle arrive à entonner puissamment Albjetk. Alors, elle décide de se laisser guider, de ne plus s'étonner de rien, et vivre pleinement cette aventure incroyable.

C'est ainsi qu'elle se pose délicatement sur une branche où elle a vu Albtjek disparaître. Et elle voit un nid tout rond, avec une petite ouverture sur le côté, elle entend Albtjek parler vivement. Avec qui ? La conversation est animée. L'autre semble en colère et lui demande de rester ou tout au moins de rester dans les parages.

Albtjek ressort, l'air contrarié, il explique que c'est son 3ème nid, et cette année le seul choisi par une femelle et cette femelle veut qu'il reste dans aux alentours car les œufs vont bientôt éclore, et qu'il doit nourrir les petits. Il le fera, comme tous les ans. Car oui les troglodytes mignons sont polygames, ne couvent pas mais aident à nourrir les petits. Cette année il n'a pas la chance d'être polygame et il se demande si cette troglodyte n'y est pas pour quelque chose. Il déclare aussi que cette troglodyte est jalouse et qu'il a du modifier leurs projets.

C'est alors que les choses deviennent claires quand il déclare

Et toi, tu vas m'aider à nourrir la marmaille. Je lui ai dit que c'est pour cela que tu es avec moi, tu es une sorte d'esclave, tu n'as pas le choix.

Les troglodytes, vous êtes insectivores, et vous mangez essentiellement des arthropodes que vous allez chercher dans le bois mort, le compost, des trucs comme cela. Et tu veux que j'aille gratter tous ces fouillis pour trouver des bestioles que je préfère regarder de loin ! Non je préfère regagner mon quotidien, je n'ai plus envie d'aller voir ailleurs !

Tu veux bien arrêter de geindre. D'abord, regarde-toi.

Se regarder n'a jamais été une grande activité chez elle, et l'âge venant elle évite même les miroirs. Inquiète elle baisse les yeux, tente de regarder ses mains, ses jambes. Horreur ! Tout ceci a disparu, elle a 2 petites ailes courtes aux plumes couleur chamois, ses jambes semblent s'être transformées en pattes roses. Son ventre est beige et arrondi. Elle se risque à regarder sur son épaule, c'est bien ce qu'elle craignait elle a une courte relevée, d'une douce couleur brun/gris. Elle doit se rendre à l'évidence, elle ressemble à un troglodyte mignon. Elle veut pleurer, sans y parvenir.

Tu es triste, moi je pensais que ça te ferait plaisir et que découvrir un ailleurs de troglodyte t'apporterait de la joie et exciterait ta curiosité. En outre, regarde, tu échappes à tout contrôle, pas d'attestation, pas de périmètre ou de durée de sortie. Et puis, tu sais c'est juste une affaire de deux ou trois semaines. Ensuite les petits seront capables de se débrouiller tous seuls.

Peut-être, mais il faut aussi que je mange des asticots et autres coléoptères ?

Tu verras, tu vas te régaler, d'abord je vais te montrer comment les attraper.


Ensemble, ils s'envolent, traversent l'estuaire, arrivent le long sur la berge d'un bassin abandonné. Un amas de ronces, de bois mort, de vestiges d’inondation à perte de vue.

Albtjek se met à fouiller, gratter, et victorieux relève la tête un long lombric dans le bec fin et recourbé ; joyeusement il la regarde et se met à l'avaler avec plaisir. Alors timidement, elle commence aussi, à gratter, fouiller... et elle trouve cela chouette, elle retrouve ses sensations d'enfants quand elle grattouillait la terre à la recherche des vers de terre..

Elle chasse, volette sur une branche et se délecte d'un cloporte. Puis ravie, elle y retourne, grattouiller, voleter, manger. Rassasiée, elle s'arrête et observe tout ce qui se passe, elle repère le long glissement d'un chat, vite, sans réfléchir, elle s'échappe sur une branche tout en haut. Elle perçoit les légers sauts des poissons dans le bassin, elle se laisse bercer par le vent léger. Elle écoute les mésanges se chamailler. Elle a l'impression d'un monde familier qui s'ouvre à elle de façon inconnue.. Elle se sent bien, elle est heureuse.

Albtjek s'approche d'elle. Il faut partir, aller voir Madame T, et bientôt dormir sans tenir compte du sifflement des merles qui dorment trop tard et se lèvent trop tôt.

Intriguée, elle le suit. Et c'est ainsi qu'elle passe sa première nuit de troglodyte mignon dans un taillis touffu et dense, abritée et rassurée par la présence d'Albtjek.

Le lendemain les sept œufs, blancs tachés de rouge-brun commencent à éclore. Elle regarde ces petits oisillons aveugles et déplumés ; elles les trouvent très laids et tout à fait attendrissants.

Ils ne semblent n'être qu'un bec grand ouvert exigeant à manger. Alors une sorte de ballet s'installe. Ils vont à tour de rôle chercher des insectes, des vers, des araignées ; ils les avalent pour les déglutir dans les becs entonnoirs. Au début, elle a refusé, demandant à simplement rester pour garder les petits. Puis la faim est arrivée, et elle a vite compris que si elle voulait manger, elle devrait se chercher elle même sa pitance et nourrir les petits lui a sembler évident, « normal »..

Elle n'arrivait plus à penser, simplement, elle faisait comme Albtjek et sa Madame T.

Rapidement, les petits ont grandi. Elle était épuisée et elle se surprit à réclamer un lit douillet.

Bon, j'ai compris, il est temps de rentrer. Je t'accompagne.

Encore une fois, la dernière elle le savait, elle a suivi Albtjek. .. ils sont arrivés dans son jardin. La chaise longue était toujours là avec son tissu un peu plus fatigué.

Elle s'est posée sur l'accoudoir, a fermé les yeux. Albtjek s'est mis lui parler doucement de sa peau fine, de ses main aux doigts habiles, de ses jambes lourdes, de ses cheveux ondulés. Elle fermait les yeux et l'écoutait. Puis le silence uniquement occupé par le roucoulement tristement monotone d'une tourterelle. Elle s'est regardée, elle avait retrouvé sa figure humaine, mais pas perdu les souvenirs de son ailleurs troglodyte. Albtjek avait disparu, mais ils se reverraient, elle en était sûre. Tout serait différent.

Le téléphone a sonné. Une voix inquiète et en colère lui a demandé des explications. Comment expliquer une expérience que personne ne croirait ? Elle a juste dit, qu'elle avait eu un coup de mou et qu'elle avait besoin d'une vraie solitude, mais que désormais tout allait bien.
Brigitte

brigitte
11 avr. 2020 17:50

Ma chère Louise,
ne pouvant te rencontrer prochainement, je ne peux me retenir de te raconter l’extraordinaire voyage que je viens d’effectuer. Comme tu le sais, j’ai longtemps dû me résigner, comme tant d’autres, à rester enfermée dans mon appartement, me languissant de pouvoir enfin partir à la découverte de nouvelles contrées. Tu me connais, dès que l’occasion m’en a été donnée, je l’ai saisie. Mon périple a été totalement improvisé, je suis partie le cœur et le sac léger. J’ai changé de destination à chaque fois qu’une nouvelle rencontre m’y invitait. Ma première étape fut un charmant village d’Ardèche, Balazuc. Comme j’aurais aimé que tu sois avec moi pour découvrir les calades étroites, bordées de maisons de pierre dont les volets fermés te laissent imaginer la fraîcheur intérieure et menant toutes à la rivière Ardèche, s’écoulant majesteusement entre les falaises. Le murmure de l’eau m’invitant à rêvasser, assise sur les dalles de pierre chauffées par le soleil, l’odeur suave du thym que j’ai foulé sur les chemins du plateau ardéchois, m’ont ravie… J’ai poursuivi ma route ensuite, tel un pèlerin, vers le pays basque. J’ai particulièrement aimé me promener, dans les ruelles de Saint Jean Pied de Port, admirant ses maisons à colombage surplombant la Nive et sa citadelle de grés rose. J’ai adoré le rouge flamboyant des piments accroché aux façades, colorant gaiement les façades chaulées, et surtout goûté un délicieux gâteau aux cerises, mêlant dans la bouche les goûts aigrelets et sucrés. J’ai continué mon périple dans d’autres régions de France et d’autres pays encore, mais je t’en parlerai de vive voix, sinon ma lettre va te lasser. Je me suis finalement résolue à revenir chez moi lorsque j’ai sorti la dernière carte postale du carton dans lequel j’ai conservé toutes celles que l’on m’envoyait et que j’ai retrouvé en rangeant le placard de ma chambre cet après- midi. La nuit était tombée sans que je m’en aperçoive. Ce voyage m’a fait un bien fou ma Louison. Je voulais partager avec toi cette escapade imaginaire, toi dont la présence me manque tant.
Porte- toi bien ma Louise, à très bientôt j’espère. Je t’embrasse,
Ton amie, Elise

Carole

carole
11 avr. 2020 18:38

Elle s’appelait Lulubelle,
Elle était née « pendant d’oreille »,
Façonnée dans les années cinquante par quelque créateur–ferronnier d’art.
Elle portait une belle robe d’émail bleu,
Avait la jambe fine galbée d’or, les pieds chaussés de petites ballerines rouges.
Marylou l’emmenait souvent avec elle,
Au théâtre, au cinéma, dans des soirées entre amis, ou pour aller danser :
Lulubelle scintillait à son oreille, accrochait toutes les lumières,
Elle « sortait » dans le monde, elle était à la fête.
C’était « avant ».
Depuis quelques temps, Marylou la délaissait.
Marylou, d’ailleurs, ne sortait plus le soir. Ni le soir, ni à un autre moment.
Sauf pour aller faire quelques courses en ville,
Mais alors elle se contentait d’une simple perle rose ou d’un anneau de jade.
Lulubelle gardait la chambre, comme ses compagnes suspendue aux branches du chandelier
que Marylou habillait de ses parures.
Lulubelle trouvait le temps long, elle avait des fourmis dans les jambes.
Parfois, pour se dégourdir, elle remuait ses gambettes,
Petits ciseaux, petits ciseaux, ciseaux…
Un jour, un beau jour, ou peut-être une nuit,
Petits ciseaux, petits ciseaux, ciseaux…
Elle eut l’impression presque qu’elle allait s’envoler…L’impression.
Elle réessaya, une fois, deux fois, elle sentait sa robe se gonfler, ses cheveux flotter !
N’y tenant plus, un soir elle profita que tout était tranquille à la maison :
Petits ciseaux, petits ciseaux, ciseaux…Petits ciseaux, petits ciseaux, ciseaux…
Encore, et encore !
Elle décolla, par la fenêtre entr’ouverte (il y avait toujours une fenêtre entr’ouverte chez
Marylou) elle s’envola !
Dehors il faisait doux, la nuit venait, claire et limpide, sans aucun nuage,
Et Lulubelle battait des pieds en cadence, nageuse élégante, elle s’élevait dans le ciel,
Semant derrière elle une traînée d’étoiles scintillantes ;
Elle se sentait Fée Clochette, avec le monde à parcourir !
Plus elle battait des pieds, plus elle s’élevait.
Un bolide sombre tout à coup la frôla, un rapide « frou-frou » à ses oreilles,
Elle eut un peu peur, un bip-bip imperceptible…et il ne s’était rien passé :
C’était Dame Pipistrelle qui sortait faire ses courses.
Un peu plus loin, quelques perles luisantes à travers les branches des arbres,
Une mélopée inconnue modulée dans la nuit, Chevêche et Grand Duc lui souhaitaient « bon
voyage ! ».
Les petites étoiles scintillaient à sa suite, elle se sentait légère, elle volait haut.Elle arriva ainsi, en semant des étoiles, jusqu’à la Lune.
Un peu étourdie, un peu lasse aussi, elle s’assit sur la pointe du croissant brillant
Qui lui faisait comme une chaude chaise longue.
Aucun bruit alentour.
Elle ferma les yeux un instant. Peut-être qu’elle s’endormit.
Quand elle reprit ses esprits, elle regarda tout autour d’elle :
Le ciel était d’un bleu marine limpide, vaste, paisible.
Des étoiles clignotaient, certaines tout près, d’autres loin, très loin.
Une petite boule brune entourée d’anneaux luisants tournait lentement sur elle-même,
Elle pensa à l’une de ses compagnes faite de créoles d’or et d’une perle d’ambre…
Il y avait d’autres petites boules éparses dans le ciel immense : des bleues, des sombres, des
vertes peut-être, laiteuses pour certaines.
En se penchant un peu, tout en bas, loin en-dessous de son croissant douillet, elle aperçut une
autre boule encore, toute petite, mais elle n’en distinguait pas la couleur, elle semblait terne,
une épaisse fumée grise, noire, elle ne savait pas bien, tournoyait tout autour, comme collante,
collée à sa surface…Pas du tout belle, cette perle-là !
En plus, on aurait dit qu’elle flageolait en tournant, comme un poisson malade…
Entre elle et cette boule moche, Lulubelle voyait une mince traînée blanche s’effilocher dans
l’air, comme la traînée laissée par les avions à réaction qui volent haut dans le ciel.
Etait-ce donc ce qui restait de SA traînée d’étoiles, quand elle était montée dans le ciel ?
Mais alors, la boule moche en bas…c’était de là qu’elle venait, elle, la petite Lulubelle ???
Tout à coup, la tête lui tournait.
Elle se sentait bien, là, sur la Lune.
Mais elle ne pouvait pas rester, il fallait qu’elle redescende, qu’elle aille leur dire, vite, ce
qu’elle voyait, ce qui se passait !
Elle agita ses gambettes,
Petits ciseaux, petits ciseaux, ciseaux,
Elle prit une grande inspiration,
Elle plongea dans l’espace ! Direction : la Terre.
Elle battait des pieds, très vite, elle fendait l’air à toute allure.
Elle était toute petite, c’est vrai, beaucoup plus petite même qu’un colibri, mais elle se sentait
très décidée, elle savait maintenant :
Que l’on peut prendre de la hauteur,
Que l’on peut être dans la Lune si on le veut,
Mais qu’il ne faut pas empêcher la Terre de tourner rond !
Plus tard, elle reviendrait. Plus tard : maintenant, elle connaissait le chemin.
Plus tard, quand viendra la nuit, par temps clair, quand brillera dans le ciel un croissant bien
net, bien lumineux, peut-être la verrez-vous, assise en bord de Lune, agitant ses gambettes,
qui surveille l’espace et vous dit : « Prenez bien soin de vous, prenez bien soin de votre petite
Terre ! ».
(très modeste hommage à Hubert, vieux sage et poète qui sait nous raconter « la Terre vue du cœur »)
MITSOU

mitsou
12 avr. 2020 17:14

Bonjour ma chère petite sœur,

J'ai reçu une lettre il y a quelque temps, à mon grand étonnement. Les missives écrites se font rares, voire exceptionnelles. C'est une carte, elle s'ouvre et en l'ouvrant on voit en relief un petit poussin qui offre des fleurs à un petit lapin. Et autre incongruité, cette carte dégage une odeur délicate de fleurs sauvages, fraîche et légèrement acidulée..
Je me retrouve en enfance, avec une carte merveilleuse, le genre de carte rêvée, mais rarement possédée....
Je suis intrigué, qui peut m'avoir adressé cette carte ? Sur l'enveloppe pas d'expéditeur mentionné, sur la carte elle même non plus... jusqu'à ce que j'aperçoive au dos en minuscule.
« Avec toute mon affection, qui tu sais »
Là je suis perplexe. Et je ne sais rien, Rien, nothing, nada,
J'examine avec plus d'attention l'enveloppe et je découvre des écrits minuscules, j'arrive à déchiffrer une adresse qui ne me dit rien.
Me voilà bien, avec une jolie carte complètement nostalgique, envoyée par une personne que je devrais identifier mais n'y parviens pas, qui vit à un endroit qui m'est étranger.
Tant pis, me voilà en train de rédiger une réponse à cette personne inconnue que je te livre.

« Bonjour chère personne que je devrais connaître,

Déjà merci pour cette jolie carte aux odeurs émouvantes. Grâce à toi (car je vais te tutoyer, même si je ne te connais pas) je suis partie bien loin de mon quotidien. Je me voyais petit garçon, en train de courir dans les près fleuris. J'essayais de cueillir « les petites fleurs si jolies » pour offrir un beau bouquet à maman, mais les tiges étaient toujours trop courtes. Alors je gardais les fleurs bien serrées dans ma main. Elles fanaient en dégageant une odeur qui m’enivraient. Cette odeur, je ne la recherche pas spécialement, mais quand elle arrive à mes narines, aussitôt, je pars, loin au jardin de mon enfance. Plus précisément à ces périodes de début de printemps quand on quittait les pantalons pour mettre des shorts. Et qu'importe si nos jambes étaient griffées par la végétation. Nous sortions de de l'hiver avec des envies de gambader, de sauter. J'avais la chance d'habiter dans un village où on me laissait partir à la découverte du monde. Je me sentais un peu explorateur, je chassais les araignées pour les sauver des vers de terre (oui, oui, je m'inventais ainsi des scenarii complètement impossibles), je sauvais les oiseaux de tigres invisibles. Et durant toute cette période, l'odeur des coucous, des primevères, de l'herbe froissée m'accompagnait, sans même que je m'en rende compte.
C'est beaucoup plus tard, étudiant en ville que je me suis rendu compte de l'importance de ces odeurs de printemps qui évoquent aussitôt ma vie d'aventurier des près.
Alors, merci d'avoir éveiller tous ces souvenirs heureux .
Je te quitte, sur ces paroles, en espérant que tu te révéleras à moi, car je dois être meilleur en odeur qu'en chasse à l'inconnu. »

Bon, voilà frangine, qu'en penses-tu ? Était-ce une erreur de destinataire ? Je n'ai reçu aucune réponse..
Aide-moi, cela m'intrigue.

Réponse de la soeur

Bon ce n'est pas par hasard que tu m'as adressé cette lettre, tu devais avoir une idée derrière la tête. Je pensais que la carte de guiderait. Tu l'as bien compris, c'est ta compagne de cordée qui te l'a envoyée cette carte, et l'adresse c'est celle d'une copine. Nous avons des souvenirscommuns même si nous ne les vivions pas de façon identiques .
Brigitte

brigitte
12 avr. 2020 17:16

Texte de Lucette : Mon cher ami
Je suis confiné, tu es confiné, nous sommes confinés....drôle de conjugaison tout de même avec ce magnifique printemps qui nous fat signe à la fenêtre.
J’espère que tu vas bien malgré tout. Il faut que je te raconte l’aventure, je dirais plutôt la mésaventure qui m’est arrivée hier.
4 semaines sans voir la mer, sans l’entendre, sans la respirer, sans la toucher, je n’en pouvais plus. Moi, si respectueux des règles et des lois, j’ai décidé de les enfreindre et par des petites routes ( pour éviter les contrôles), je suis arrivé sur la plage la plus proche de chez moi, plus d’un km quand même.
J’étais heureux comme un enfant découvrant les œufs en chocolat, au matin de Pâques, dans son jardin. J’ai quitté mes chaussures et je me suis dirigé vers la douceur et la fraîcheur promises par les vaguelettes qui venaient mourir sur le sable.
Tout à coup une voix tonitruante m’a arrêtée: « Monsieur!!! La plage est interdite!!! Vos papiers!!! Votre attestation !!! » Bien sûr, je n’avais rien....que mes chaussures à la main.
Et alors là, il m’a traité: d’inconscient, d’égoïste, de délinquant, de criminel même. Il m’a jeté au visage, les médecins, les infirmières qui risquaient leur vie, les gens qui mouraient en réanimation....j’ai baissé la tête comme le sale gamin pris en train de faire un croche-patte à un camarade dans la cour de récréation.... Puis, tout à coup, toute la frustration accumulée durant tous ces jours de confinement m’est montée à la tête et j’ai explosé. Je l’ai traité de serviteur zélé sans cervelle, de fanatique des autorités, de fasciste, je crois même que j’ai ajouté « nazi » et quelques gros mots en prime.
Alors là, je me suis retrouvé très vite dans la voiture de police et bientôt au commissariat.
J’étais un peu honteux de m’être laissé emporté, d’autant plus que j’étais complètement en tort, mais j’étais aussi curieux de visiter ce lieu tant craint, tant fantasmé et si mystérieux. J’ai très vite compris que j’allais être « mis au trou...au frais...à l’ombre... » comme on disait dans les films.
Sans lacets, sans-papiers, sans ceinture, je me suis retrouvé « derrière les barreaux ». J’avais déjà vu à la télé ces lieux sales et malodorants avec une foule de « clients » avinés pour la plus part, accrochés aux barreaux et vociférant contre les « sales flics » et la « police pourrie ». Moi, j’étais dans une petite cellule propre, calme, et fraîche. J’étais seul. « bien sûr, les voyous sont tous confinés chez eux » pensais-je.
Le sol était fraîchement nettoyé, il y avait une couverture propre pliée sur la banquette. Un soupirail ouvrait discrètement l’œil sur une cour ombragée silencieuse. Une odeur de désinfectant flottait dans l’air, comme dans les couloirs d’une maison de retraite.
J’étais un peu déçu quand même, ça n’avait rien à voir avec les oubliettes du Mont St Michel ou avec le cachot humide du comte de Monte-Cristo au château d’If. Mais ça, c’était avant...
Je pense que j’ai un peu dormi et j’ai rêvé que je faisais une longue balade sur la plage, pieds nus dans les vagues.
Je fus réveillé brusquement par une jeune policière qui me ramena à la lumière du jour. Après avoir récupéré mes lacets, ma ceinture et mes papiers, un commissaire m’a signifié ma faute: « outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions », puis il m’a chargé d’un énorme sermon sur la citoyenneté et délesté d’une amende rondelette.
J’ai retrouvé mon deux pièces de confiné et j’ai noté dans mon journal:
« 25 ème jour de confinement.
Visite insolite et intéressante aujourd’hui.
À déconseiller. »
J’attends impatiemment de tes nouvelles
Ton ami de toujours
Baptiste
Lucette

lucette
18 avr. 2020 17:26

Cher vieil ami,
Il n’y a vraiment qu’à toi que je puisse me confier ; 50 ans que je m’épanche sur toi sans que jamais tu n’émettes la moindre critique à mon égard !

Sur la rambarde de mon balcon, je vois Victor, le Goéland fixer l’horizon, je contemple à mes pieds l’eau grisâtre qui ne me donne pas envie d‘y plonger. Brusquement, me voilà survolant la Touques en compagnie de mon ami ailé (il n’y a vraiment que toi qui pourrait croire à cette étrange amitié !).

Le vent a forci et m’entraîne sur la tour Ouest de Notre-Dame. La Seine en contrebas est sombre, le temps est couvert, j’ai un peu le vertige et aucune velléité de mettre ne serait-ce qu’un orteil dans le fleuve. Je cherche des yeux l’Hôtel-Dieu où je naquis presque trois quarts de siècle plus tôt. Le bâtiment n’a pas changé ; il se tient mieux que moi.

La tête me tourne, Victor a disparu. Une violente spirale d’eau me précipite dans une eau bleue et presque chaude. J’ai du mal à ouvrir les yeux tant le soleil est éblouissant. Je reconnais le lac de Sainte Croix du Verdon. C’est l’été, des bateaux et des pédalos irisent l’eau autour de moi. Au loin, je reconnais le château d’Aiguines. J’ai à peine le temps de contempler cette vue idyllique qu’une forte bourrasque me projette dans une eau salée encore plus bleue.

Sur la plage, à quelques mètres, je peux distinguer des galets et une grande promenade où déambule une foule joyeuse de plaisanciers, je suis à Nice, la Grecque.
J’ai dû nager longtemps, devant moi se dresse le temple de Poséidon, sur le Cap Sounion, au soleil couchant. C’est au Pirée que se poursuit mon voyage, je sens l’odeur des gambas et des poissons qui grillent. A l’apéritif, les touristes les dégusteront avec un verre d’ouzo ou de résiné.

L’eau a fraîchi soudainement, je dois être revenue en Normandie, le long de la plage de Trouville pour une balade de longe-côte. J’ouvre péniblement un œil, je me suis endormie dans ma baignoire…
Le voyage est fini, adieu Victor et mon journal intime.
Heyliett

heyliett
21 avr. 2020 09:37

Autorisation "officielle" dans ma poche, me voilà en bas de chez moi. A droite ? A gauche ? Va pour tout droit ! Peu importe : il s'agit seulement de l' exercice autorisé durant une heure et un kilomètre d'ici.
Ah ! Mais c' est un SDF qui dort encore sur ce trottoir, oui mais à l' abri d' une belle boutique de décoration. .....
Quelques pas plus loin, voici une cloche à terre. Elle semble attendre de retrouver sa place, en haut du clocher mais l'église l'a remplacée (durant son court séjour pascal à Rome sans doute ! ).
Et nous voilà devant un square discret mais avenant, en l'honneur d'un fameux personnage en effet : le redouté brigand qui sévissait ici-même.au siècle dernier ,non pas un Robin des Bois, mais un véritable mauvais garçon.
Bienvenu ce mobilier urbain qui nous offre une demi douzaine de sièges, au pied de ce magnifique arbre. Assayons nous et apprenons ainsi où ce que signifie l' expression
" derrière l'arbre" ! ( Félix Fénéon aurait apprécié ! ).
A l'étalage de ce marchand de journaux, remarqez cette Une d'un respectable quotidien du soir qui titre en caractères gras :
" GRAVE SÉCHERESSE AU SAHEL "
et réserve un encart pour une
" malencontreuse " publicité : une cure de thalassothérapie !
Plus amusante est ce voisinage entre la revue " La Recherche " et cette autre consacrée à Marcel Proust !
Tiens, cette boutique précise
" Tailleur sur mesures ". Au cas où ce ne serait pas le cas. .....Plus loin, cette autre information beaucoup plus sérieuse inscrite sur le fronton
d'une très ancienne échoppe :
" Manuel ne daigne ,
Technicien ne puis,
Commerçant je suis ."

Et que dire de cette imposante église ,la seule et unique à ne pas avoir de croix en façade ?

De l' insolite dans nos flâneries.....
Ne suffit-il pas de prendre le temps pour regarder et voir ces détails qui me ravissent et me racontent chacun une histoire.... comme ce petit coin de rue très propre.....cette fontaine publique devant l' entrée du Musée du Vin.....cette serrure de la porte vitrée d'un balcon.... ce cadran solaire scellé à l'ombre, en rez de cour....

Vous vous êtes laissés entrainer,
peut être même que cette flânerie vous aura amusé et que vous apprécierez de découvrir des situations surprenantes et des aspects bizarres du monde qui nous entoure : cette sculpture de nu devant un très chic magasin de vêtements , ce cycliste tracté par ses deux chiens qu'il guide de sa voix, ce groupe de touristes, toutes têtes baissées devant leur conférencier pérorant puis interloqué, ou cette fille qui ne vous évite pas car, même à la tombée de la nuit, elle marche en lisant son livre.
Oliviet

olivier
21 avr. 2020 16:01

Ma très chère,
Ainsi nous voici partis, pour ce voyage au long cours, ce périple incertain, qui séparera notre amour pendant bien des années. Tes pleurs hier au soir, ma douce, ont failli vaincre ma résolution et réduire à néant ces mois de préparation. Mais ce matin à l’aube, j’ai su que mon devoir m’attendait. Comme des générations de marins avant moi, j’ai senti le frémissement de l’aventure au moment du départ. Nous avons largué les amarres. J’ai quitté l’anse de tes bras, la baie de tes seins et le havre de ta couche pour l’univers froid et masculin de la Santa Maria.

Ma promise,
Quelques jours de voyage à peine et déjà, j’ai pris l’habitude de ces lettres. Elles me sont devenues nécessaires. Je t’écris chaque soir, fidèle à ma promesse épistolaire. Je saisis ma plume, ferme les yeux, et ton image surgit, ton doux visage se dessine. Te voici muse, inspiratrice d’un navigateur qui n’avait rédigé, avant de te connaître, que de sinistres rapports d’exploration. Il n’y a pas de porteur de nouvelles à bord, bonnes ou mauvaises, aucun coursier pour te faire parvenir mes pensées. Je plie soigneusement ma lettre, la baise tendrement puis la range dans ce coffret de bois précieux que tu m’as offert. Tu les liras toutes, si Dieu le veut, à mon retour.

Mon aimée,
Le vaisseau grince et tangue. Il se fraie péniblement un chemin dans un milieu hostile et froid. Un vent chargé de méchantes poussières a fatigué nos voiles la semaine dernière. La solitude à bord se fait sentir, même si notre équipage est aguerri aux longues traversées. Je dors mal, toi aussi peut-être. La nuit souvent, lorsque je ne suis pas de quart, je me prends à rêver de toi, seul dans ma cabine de capitaine. Je lève la tête vers la voûte céleste, d’un noir si profond et pourtant chargée d’étoiles. Je me demande si le ciel que nous observons d’ici est le même que celui qui veille sur tes nuits, ma douce. Nous sommes si proches et je me sens déjà si loin. Les constellations dessinées par les Dieux nous seront-elles clémentes, à toi comme à moi ?

Mon amoureuse,
J’aimerais te donner de bonnes nouvelles, mais hélas je n’en ai pas. Le navire est en deuil. Hier, en pleine nuit, nous avons perdu notre premier homme. Nous essuyions une affreuse tempête lorsqu’un jeune appelé s’est porté volontaire pour sortir, grimper sur le mât et tenter de réparer un filin brisé. Une secousse l’a détaché du navire, il a sombré. Personne n’a pu lui venir en aide, il avait déjà disparu, engouffré par l’obscurité. Le moral de l’équipage est au plus bas. Je dois resserrer la discipline pour nous donner un semblant de structure. Nous devons poursuivre le voyage.

Ma chérie,
Six mois ont passé. Le navire a subi une tempête, plus terrible encore que la précédente. Un gros grain nous est tombé dessus. Nous avons dévié un moment de notre trajectoire, nos instruments de bord ne répondaient plus. Nous avons cru être perdus, je peux te l’avouer aujourd’hui. Nous aurions pu être condamnés à errer sans fin et sans but dans un vaisseau fantôme. Mais c’était sans compter sur l’habileté et la dextérité de mes hommes, aventuriers et réparateurs sans pareil. Mes hommes qui ont mille fois côtoyé la grande faucheuse et qui, mille fois, ont échappé à ses filets. Mes hommes que je bénis en ce jour.

Mon élue,
Un an depuis notre départ, déjà. Je n’ai pas respecté notre serment et ne t’ai pas écrit tous les jours. Sauras-tu me pardonner cette faiblesse ? La solitude des grands espaces nous rend fous, je le sens, je le sais. Le silence insupportable, sans nulle âme qui vive, et les tempêtes insurmontables auront raison de nous. Je me rends compte de l’insanité de notre démarche, de la folie de ma quête. Dans les moments de désespoir les plus profonds, ton amour me maintient à flot, ainsi que l’engagement pris auprès de notre Roi. Je suis un homme de parole et d’honneur, tu le sais. J’ai accepté cette mission sur la Santa Maria, je dois assumer ma décision. Même si ce voyage sera un aller sans retour. Te reverrai-je un jour ?

Mon amour,
Je relis ma dernière lettre. Mon Dieu, qu’ais-je donc osé écrire ! Non ! Je dois me ressaisir. Je dois reprendre confiance en ma mission, en notre mission. Un capitaine ne doit pas défaillir, il doit être celui qui insuffle le courage et la détermination à ses hommes. Mais cette solitude ! La noirceur de ce ciel ! L’immensité de ces espaces, sans rien pour accrocher le regard, pas même un minuscule bout de rocher pour y faire escale ! Cet après-midi, je me suis enfermé dans ma cabine. Devant mon miroir, j’ai répété mon nom : Christophe C., Christophe C., des dizaines de fois, jusqu’à me persuader de mon existence. Puis, j’ai fait l’effort de me raser et me tailler la moustache. Je dois donner l’exemple et être présentable à mon équipage.

Ma biche,
Terre en vue ! C’est extraordinaire ! Inattendu ! Rien, sur les cartes que nous avons, pourtant détaillées, ne prédisait la rencontre avec une terre. Aurions-nous, suite à ces tempêtes à répétition, dévié de notre trajectoire ? Avons-nous, vent arrière, navigué plus vite que nous le pensions ? Accosterions-nous déjà sur la terre promise ? L’équipage est fou de joie. Qu’importe si la destination est atteinte ou si nous sommes réellement perdus. Ce qui compte, pour ces malheureux, c’est de sortir du navire, de mettre pied à terre et d’explorer ce territoire. Et bien entendu, de s’y procurer des vivres frais.

Mon adorée,
Depuis quelques jours, nous vivons une expérience incroyable. Les indigènes de ce nouveau monde nous prennent, de toute évidence, pour des dieux débarqués d’on ne sait où. À moitié nus, vêtus seulement de colifichets et coiffés de plumes, ils nous servent sur de grands plateaux les mets les plus délicats qui soient. Je découvre chaque jour de nouvelles variétés de fruits. Ils nous abreuvent de nectars sucrés, d’hydromels et de douces liqueurs. Ils offrent leurs femmes aux membres de l’équipage, afin que nous les honorions. Ne sois pas jalouse mon aimée, malgré le temps et la distance, je sais et je veux te rester fidèle.

Ma désirée,
Plusieurs semaines ont passé. Malgré tous nos efforts, et l’aide de notre scientifique versé aux langages des peuples primitifs, nous n’arrivons pas à comprendre ces sauvages emplumés. Oui, tu l’auras deviné, mon opinion à leur sujet a évolué depuis notre accostage. D’ailleurs, nous demandons-nous, sont-ce bien des hommes ? Je t’avoue que nous sommes venus à en douter sérieusement : ces sauvages rient lorsque nous nous fâchons, ils nous cèdent leurs femmes comme s’ils ne connaissaient pas les règles sacrées du mariage, et ignorent les métaux rares, présents partout, qui ont moins de valeur à leurs yeux qu’une simple baie ou autre fruit exotique.

Mon unique,
Je t’écris du vaisseau, où l’équipage et moi-même avons dû nous replier d’urgence. Les sauvages ont dévoilé leur véritable visage : celui de barbares. Ils ont tué et massacré plus de trente de mes hommes. Pour une seule pauvre raison : mon équipage avait commencé à creuser une carrière afin d’en extraire le précieux minerai. Ces sauvages ne l’utilisent pas, mais il semble qu’il leur est sacré : impossible d’y toucher sans attiser leur courroux. Ils font le siège de notre navire, nous ne pouvons plus sortir, pas même pour nous procurer de la nourriture, sans risquer de recevoir leurs fléchettes empoisonnées.

Ma tendre,
La mission est avortée. Nous devons rentrer sans avoir achevé notre périple, cette aventure autour du monde. Tout au plus ramenons-nous dans nos soutes quelques échantillons de végétaux, et une poignée de ce rare minerai. J’ai décacheté aujourd’hui les consignes du Roi en cas d’urgence, gardées sous scellé jusqu’à ce jour. Pour le retour, je n’utiliserai pas les voiles solaires. Le Roi nous autorise à passer le vaisseau en vitesse supraluminique, et à mettre sous hibernation cryogénique tous les membres de l’équipage qui ne sont pas indispensables. J’estime la durée de notre voyage vers la planète Terre à trente-trois jours, deux heures et vingt-sept secondes. De notre côté temporel, bien sûr. Grâce aux lois de la relativité générale, je n’aurai pas trop vieilli pendant notre périple, et je t’aimerai toujours, même avec les quelques rides qui orneront ton doux visage. Nous pourrons alors enfin célébrer notre union.
Ton Christophe, capitaine du Santa Maria, vendredi 10 avril, an de grâce 2492.

Isabelle Lebastard

isabelle leb

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