Les maillots qui grattent Oh ! Une réminiscence* ! Un vague, très vague souvenir d'une sensation d'enfance : les maillots tricotés main qui grattent partout lorsqu'ils sont mouillés… Ce n'est pas le plus agréable des souvenirs mais qu'importe, c'en est au moins un. Et je suis frappée de constater encore une fois, en regardant sur ces photos les vêtements que nous portons ma mère et moi, que tout, absolument tout, à part nos chaussures et les chapeaux de paille, était fait à la maison. Jusqu'aux maillots de bain. Que d'attention, que d'heures de travail pour me vêtir ainsi de la tête aux pieds. Que d'amour dans les mains qui prenaient mes mesures, tricotaient sans relâche. Est-ce pour me consoler d'avoir perdu tout cela, pour me rassurer que je passai des années à fabriquer mes propres vêtements, plus tard ? Et puis qu'importe ces histoires de vêtements, de maniaquerie couturière, et qu'importe cette si vague réminiscence des maillots qui grattent, si fugitive que déjà je doute de l'avoir retrouvée un instant… Ce qui me fascine sur cette photo, m'émeut aux larmes, c'est la main de mon père sur ma jambe. La manière si tendre dont elle entoure mon genou, légère mais prête à parer toute chute, et ma petite main à moi abandonnée sur son cou. Ces deux mains, l'une qui soutient et l'autre qui se repose sur lui. Après la photo il a dû resserrer son étreinte, m'amener à plier les genoux, j'ai dû me laisser aller contre lui, confiante, et il a dû me faire descendre du bateau en disant "hop là", comme le font tous les pères en emportant leur enfant dans leurs bras pour sauter un obstacle. Nous avons dû gaiement rejoindre ma mère qui rangeait l'appareil photo et marcher tous les trois sur la plage. J'ai dû vivre cela, oui… La photo me dit qu'il faisait beau, qu'il y avait du vent dans mes cheveux, que la lumière de la côte normande devait être magnifique ce jour-là. Et entre mes deux parents à moi, si naturellement et si complètement à moi pour quelque temps encore, j'ai dû me plaindre des coquillages qui piquent les pieds, comme le font tous les enfants ignorants de leurs richesses.

 Annie Duperey, Le Voile noir, 1992.

Choisissez une de ces photos et écrivez le souvenir qu’elle évoque pour le narrateur (je ou autre) en quelques lignes.

Vous écrirez deux versions : l’une évoque un souvenir heureux, l’autre évoque un moment désagréable, le contrepied. Variez dans chacune des versions le temps des verbes, le rythme des phrases.

Ex : j’adorais ces moments où ma grand-mère, toujours coquette et souriante, se rapprochait de moi pour me glisser à l’oreille des petits mots sucrés et me faire sourire parfois même rire aux larmes.

Je hais ces moments là. Ma grand-mère a mauvaise haleine. Elle s’accroche à moi comme une pieuvre à sa proie. Elle est vieille. Elle radote. Mon père m’oblige à sourire pour la photo.