«  des bribes de phrases happées au passage, des scènes filmées à la dérobée lors d’une promenade, dans des endroits publics, quais de gare, wagons de métro, places de marché, plages. Parfois c'est simplement un bruit, un graffiti…. »

 Vous vous promenez Capturez ce que vos sens perçoivent au fur et à mesure que vous avancez. Faites nous partager ces brefs et éphémères instants de bonheur comme le fait Delerm dans cet extrait.

 

On remarquera la brièveté des phrases, l’utilisation du présent signifiant la capture d’un moment pour le savourer peut être encore ultérieurement.

Extrait de la nouvelle Aller aux mûres, dans le recueil La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules de Philippe Delerm

 

[…] Chacun s’est muni d’une boîte en plastique où les baies ne s’écraseront pas. On commence à cueillir sans trop de frénésie, sans trop de discipline. Deux ou trois pots de confiture suffiront, aussitôt dégustés aux petits déjeuners d’automne. Mais le meilleur plaisir est celui du sorbet. Un sorbet à la mûre consommé le soir même, une douceur glacée où dort tout le dernier soleil fourré de fraîcheur sombre.

 

Les mûres sont petites, noir brillant. Mais on préfère goûter en cueillant celles qui gardent encore quelques grains rouges, un goût acidulé. On a vite les mains tâchées de noir. On les essuie tant bien que mal sur les herbes blondes En lisière du bois, les fougères se font rousses, et pleuvent en crosses recour­bées au-dessus des perles mauves de bruyère. On parle de tout et de rien. Les enfants se font graves, évoquent leur peur ou leur désir d’avoir tel ou tel prof. Car ce sont les enfants qui mènent la rentrée, et le sentier des mûres a le goût de l’école. La route est toute douce, à peine vallonnée : c’est une route pour causer. Entre deux averses, la lumière avivée se donne encore chaude. On a cueilli les mûres, on a cueilli l’été. Dans le petit virage aux noisetiers, on glisse vers l’automne. […]